Sauvons Noël, et puis voilà !

crèche

Le village s’appelle Sainte-Croix. Quel Sainte-Croix, me direz-vous ? Une brève recherche sur Internet montre que les Sainte-Croix pullulent aux quatre coins du pays. Mais les racines chrétiennes de la France sont, bien sûr, une vue de l’esprit.

Ce Sainte-Croix-ci est en Occitanie. Pour y entrer, on passe trois calvaires. Le plus récent, en fer forgé, date du XIXe, le plus ancien est une croix de sauveté, magnifique, avec son Christ naïf au centre. Il ressemble à un dolmen taillé. Sans compter l'immense croix, à côté du monument aux morts.

En dépit du contexte morose, on a installé un grand arbre - grâce au maire de Bordeaux, un modeste village peut se targuer d’avoir un plus joli sapin qu’une grande métropole -, mais les décorations - ours, cerfs, toits faussement neigeux - évoquent plus l’hiver que la Nativité. Étrange idée. Va-t-on aussi, fin juin, mettre des animations pour évoquer l’arrivée de l’été : tongs et lunettes de soleil clignotantes ? Comme si c’était une saison que l’on fêtait…

Au centre du village, la petite église, magnifique, du XVe siècle. Son donjon fortifié est connu dans la région. Pour entrer, il faut demander la clé au boulanger - qui fait aussi épicerie, poste et bureau de tabac. Notons qu'il reste un autre ultime commerce de proximité : un tatoueur. Comprenne qui pourra. 

Le guide touristique dit qu’il y a, dans cette église, des reliques de la Croix. L’aimable commerçante ne sait pas, ne croit pas, n’en a jamais entendu parler. Il est vrai que son registre, à elle, ce sont les biens de première nécessité, et il y a longtemps que ces choses-là, pour les Français, n’en font plus partie. Que sont-elles devenues ? À l’intérieur de l’église, derrière l’autel, sur un sobre vitrail, sont représentés les clous et la couronne d’épine. Mais en cette période de Noël, il n’y a aucune crèche. Rien, nada.

Il paraît que, jadis, un curé de Sainte-Croix devint archevêque de Paris. Aucun risque pour que cela se reproduise, il n’y plus de curé de Sainte-Croix ». Plus de messe, non plus, d’ailleurs. Ou presque jamais. Même la grosse bourgade, à six kilomètres de là, n’est plus desservie tous les dimanches. Dire qu’au siècle dernier, ce département, avec celui de Luçon était le plus fécond en vocations. Aujourd’hui, il reste des prêtres héroïques et dévoués, mais ils n’ont pas le don d’ubiquité. 

Bien sûr, il y a quelques jours, Le Figaro Magazine a fait sa une sur « les cathos [qui] se réveillent ». « Poussé par des jeunes générations de catholiques, l’épiscopat a osé se rebeller » : « Sans le savoir, les cathos [ont] sauvé Noël. » 

Sauver Noël, c’est sauver l’espérance. Quand ces « jeunes générations de catholiques », seront bien vieilles, le soir à la chandelle, elles pourront raconter leur plus beau Noël ; et ce sera peut-être celui de 2020, un peu pourri, dont la dinde avait un goût amer - le gel hydroalcoolique sur les mains de la cuisinière ? -, où les hôtels n’étaient pas complets comme à Bethléem mais, au contraire, désespérément vides, mais un Noël quand même. Avec une messe. L’incarnation n’ayant de sens que par la rédemption. 

Mais ceux-là sont des catholiques des villes. Où sont les catholiques des champs ? Au siècle dernier, c'étaient les ruraux - loin de leur clocher, leur curé, leur famille - partis chercher fortune en ville qui perdaient la foi. Par une révolution copernicienne, ce sont les catholiques urbains, se soutenant et se tenant chaud dans des réseaux, des écoles, des paroisses, qui raniment la flamme quand les campagnards sont isolés, atomisés. 

J'ai emmené mes enfants poser devant l’autel, une crèche en porcelaine, trouvée à la Foir’Fouille. C'est peut-être un peu bête... Elle n’est pas chouette, sans doute made in China, mais qui la verra ? Au moins, elle sera là. Seule, dans l’obscurité d’une église déserte. Sans veillée, sans cierge, sans minuit chrétien a capella, sans enfants de chœur en soutanelle, sans fidèle ni missel. Mais avec l’ombre des habitants de Sainte-Croix qui, jadis, s’y pressaient le soir de Noël. Et ne laisseront pas tomber leurs descendants, c’est évident. Cela s'appelle la communion des saints. Vous êtes agnostique, dites-vous, pas concerné par toute cette rhétorique ? Mais le soir de Noël, on a le droit de croire un peu à tout et à n'importe quoi, alors pourquoi pas à ça ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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