Quand Jacques Chirac disait à Valérie Pécresse : « Tu ne sais pas embrasser ! »

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Jacques Chirac, après sa mort, a reçu un nombre incalculable d'hommages dont certains, sans mauvais esprit, ne laissaient pas d'étonner. Comme si une France, avec lui, se pleurait elle-même et ne se consolait pas de sa disparition !

Autant on peut discuter l'utilité et l'efficacité de ses mandats - on est toujours obligé de ressortir son opposition à la guerre en Irak ! -, autant il est difficile de nier la bête politique qu'il a été et de ne pas tenir compte des conseils qu'il lui est arrivé de donner pour favoriser techniquement, humainement une proximité avec le peuple, un contact réussi avec le citoyen. Dans ce domaine, il était un maître !

Qu'on songe, par exemple, aux avertissements chaleureux qu'il a prodigués à Valérie Pécresse ! (Le Point)

Le premier concernant la poignée de main. « C'est bien. Poignée de main ferme, regard direct. Il faut savoir qu'une poignée de main c'est d'abord un regard, toujours droit dans les yeux. C'est une marque de considération. C'est ce qui a perdu Alain Juppé quand il était jeune : il était trop pressé, il serrait la main d'une personne en regardant déjà la suivante ! »

Le second relatif à la manière d'embrasser. Alors que Valérie Pécresse lui a tendu « une joue timide », il la prévient. « Tu ne sais pas embrasser ! On embrasse avec tout le corps, comme ça (vigoureuse accolade de sa part) ! Tu vas faire de la politique de terrain. Les gens vont vouloir t'embrasser et profites-en, ça économisera ta main ! »

Ces observations, fruit d'une très longue expérience, sont tellement justes.

Le regard est fondamental, non seulement en serrant une main, mais surtout en parlant. J'essaie sans cesse de faire passer dans mes formations ce message que le verbe doit être accompagné par le regard, exactement de la même manière que par l'écoute. Rien de plus déplaisant et de moins convaincant qu'un regard, dans tous les sens du terme, fuyant.

Pour les embrassades, je n'ai que trop tendance, sans me mesurer à l'infinie aptitude de Jacques Chirac dans cet exercice, à ne pas picorer mais à user de l'élan de tout le corps pour manifester ma sympathie, même si aujourd'hui il faut prendre garde ! Triste période qui fait grief des modalités les plus innocentes avec lesquelles on exprime son empathie, son amitié !

J'avais déjà été alerté, sur cette spontanéité trop expansive, par Sophia Aram qui, il y a quelques années, l'avait mal accueillie. Comme un abus de pouvoir alors que ce n'était qu'un mouvement naturel.

Jacques Chirac n'aurait sans doute pas ajouté à la liste de ses conseils - pourtant, il aurait été bien utile à Valérie Pécresse qui écoute distraitement - celui, précisément, de l'attention concentrée sur autrui, de l'écoute envers la personne qui s'exprime. À l'évidence, pris dans le maelstrom des campagnes, ce n'était pas sa qualité principale alors que, par exemple, on reconnaissait à François Mitterrand l'incroyable talent de laisser croire à l'autre qu'il était seul au monde face à lui. Emmanuel Macron, paraît-il, n'est pas dénué de ce don aujourd'hui. Il n'écoute peut-être pas en gros, mais au détail, oui.

Le regard, l'engagement de tout l'être, l'écoute : il y aurait là de quoi, déjà, constituer un socle minimaliste pour la démocratie.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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