[Point de vue] Guerre en Ukraine : les arguments russes tiennent-ils ?

POUTINE

Qui dénie encore qu'il y a, depuis fin février 2022, en Ukraine, une guerre d'invasion sans déclaration ? Avec, depuis bientôt quatre mois, des dizaines de milliers de morts civils et militaires, des dévastions de villes, ports, ouvrages d'art, voies ferrées, usines, entrepôts de céréales, matériels agricoles ? Plus personne sauf le pouvoir russe pour qui cette terrible guerre n'est qu'une « opération spéciale ». Qui impute encore la responsabilité originelle de cette guerre aux Ukrainiens ? Plus personne sauf le pouvoir russe qui accuse l'Ukraine de l'agresser. En somme l''« opération spéciale » ne serait qu'une légitime défense. Le pouvoir russe dans ses objectifs peu précis et son argumentaire, a recours à quatre principales accusations qu'il faut examiner.

La forte immixtion de l'OTAN, des services secrets occidentaux, et avant tout des USA et de la CIA, dans les affaires politiques internes de l'Ukraine

Il est probable que les services occidentaux ont tiré les ficelles de la révolution dite « EuroMaïdan », mais il est tout aussi vrai que Ianoukovitch, le président, élu en 2010, était un agent du Kremlin, un ex-homme de main qui s'exprima en russe lors d'un face-à-face télévisé avec Iouchtchenko qui, lui s'exprimait en ukrainien (!) et avait été élu en 2004 lors d'un...troisième tour de scrutin ! Des deux côtés (pro-Kremlin et pro-Occident), on utilise tous les moyens, la corruption, les fonds d'oligarques, les fraudes électorales, les milices, la propagande ; mais on impute aussi au Kremlin des assassinats et tentatives (polonium, dioxine, etc.) dans le plus pur style KGB (voir les photos de Iouchtchenko avant et après un dîner avec des agents). Poutine, au pouvoir depuis 22 ans, a oublié que l'on a changé d'époque et a rendu la Russie antipathique pour longtemps…

Une attaque contre les Russes du Donbass dans une « perspective génocidaire »

Il est vrai qu'au Donbass, il y a la guerre depuis 2014, mais c'est une guerre civile déclenchée par les séparatistes russes, en riposte à une suite de convulsions politiques après la fin de l'URSS, notamment l'EuroMaïdan et l'interdiction de la langue russe comme langue officielle. Les séparatistes du Donbass ont constitué une armée, aidée par des milices (Oplot, Vostok, Sparta, Kalmious, Armée russe orthodoxe, Rempart) soutenues militairement par des forces spéciales des services secrets de la Russie limitrophe, avec des moyens militaires (chars et canons). Et face à cette rébellion, l'armée régulière ukrainienne appuyée par des forces spéciales occidentales, et des bataillons de mercenaires, dont le bataillon Azov accusé de néo-nazisme (une tendance à 3 % aux élections).

Une menace géostratégique directe contre la Russie (base navale de Sébastopol, flotte de la Mer noire) à partir de sa proximité immédiate (Mer d'Azov, Donbass)

Cette menace est bien réelle. Car dans leur détestation du brutal empire tsaro-soviétique, les petites et moyennes nations périphériques, occupées depuis 1945, puis libérées du communisme à la suite de la chute de l'URSS en 1991, ont massivement adhéré à l'UE et à l'OTAN. La Russie, victime de sa propre image, s'est sentie encerclée par l'Occident. Le fameux « complexe obsidional ». Un complexe venu de l'histoire de ces immenses plaines, peu peuplées, où rien n'arrête le regard ni les invasions : Huns, Magyars, Bulgares, Mongols, Turcs, Slaves, Scandinaves et Germaniques... La seule façon de se protéger est d'annexer les voisins, dont l'identité et la liberté sont niées du seul fait qu'ils sont vaincus… Ainsi naquit la séculaire obsession russe de sécurité, et motiva son besoin d'un glacis de nations sujettes. Un engrenage fatal, de siècle en siècle, qui vient de faire renaître au Kremlin une nostalgie de la grande URSS, et une hantise : celle de navires otaniens, invoquant les règles internationales de la navigation, accédant à Marioupol, en mer d'Azov, au cœur même de la Russie. Trump avait compris que la véritable menace au XXIe siècle était la Chine et avait entrepris une démarche philo-slave, doutant même de la nécessité de perpétuer l'OTAN. Mais Biden, financièrement très mouillé en Ukraine, a rompu avec cette ligne qui dérangeait son lobby militaro-industriel.

La violation des accords de Minsk par l'Ukraine et les Occidentaux

Si les accords de Minsk, ont pendant quelques années, contribué à atténuer les tensions au Donbass ils sont malheureusement désormais caducs. Les historiens diront qui a souhaité et conduit à leur échec : les Ukrainiens ou les Russes ? Les deux ? Mais d'ores et déjà on sait qui n'a pas assumé ses engagements contractuels : Macron et Merkel qui avaient signé les accords de Minsk II en tant que garants de leur application. Pourquoi ont-ils échoué ? Ont-ils été circonvenus par l'OTAN ? Pourquoi, s'ils ne sont pas responsables de l'échec, n'ont-ils pas saisi l'OSCE et porté le débat devant les opinions publiques au lieu de rester pendus au téléphone ?

Enfin on ne soulèvera qu'un sourcil aux « justifications » du clan Poutine, parfois reprises en France sur les réseaux sociaux : les dirigeants ukrainiens ne seraient que des drogués, « bâtards , dégénérés qu'il faut faire disparaître », nazis et corrompus.

Tout n'est donc pas faux dans ces différents reproches russes mais aucune de ces causes – même conjuguées ensemble – ne sont suffisantes pour justifier de telles conséquences. D'autres voies étaient possibles.

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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