Philippe Bilger : « L’affaire Ferrand montre qu’il y a une justice, en dépit de la solidarité corporatiste de son camp »

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Richard Ferrand, le président LREM de l'Assemblée nationale, a été mis en examen pour « prise illégale d'intérêts » dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne.

Philippe Bilger revient sur « la complexité de cet imbroglio procédural et judiciaire » et sur les réactions de soutien qui ont suivi au sein du groupe LREM, au nom d'une « fidélité partisane ».



Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale a été finalement mis en examen pour l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Cette affaire le poursuit depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Faut-il se réjouir qu’il n’y ait personne au-dessus des lois dans ce pays ?

Sur le principe, on ne peut que se réjouir de cette exigence. Deux ou trois choses sollicitent néanmoins mon attention. Depuis le début, une complexité judiciaire et procédurale a débouché sur la plainte de l’association anticorruption Anticor. Ferrand a été mis en examen à Lille. D’abord, on est passé de Brest à Paris puis à Lille. Puis l’affaire a été classée sans suite. Ensuite, l’invocation de la prescription et enfin la mise en examen. Tout cela révèle véritablement une grande complexité.
On ne peut pas dire que Richard Ferrand ait fait l’objet d’une mansuétude procédurale et judiciaire. Après une audition de 15 heures, il est tout à fait normal que les magistrats aient considéré qu’il devait être mis en examen, malgré les dénégations qu’il a semble-t-il encore formulées. Cela montre qu’il y a une justice après qu’Anticor ait réagi, mais une justice qui n’est ni désinvolte ni légère.
On ne saurait lui imputer par principe une sorte de présomption d’esprit partisan. Je ne méconnais en aucun cas la présomption d’innocence de Richard Ferrand. Il est d'ailleurs d’autant plus fondé à l’invoquer au regard de la complexité de cet imbroglio procédural et judiciaire. 
J’ai été par ailleurs frappé par les réactions immédiates de solidarité corporatiste et de l’indifférence démocratique du président de la République et des députés de son camp. Ils ne connaissent probablement rien de la procédure, sinon ce que leur en a dit Richard Ferrand. Cette sorte de fidélité partisane a sa valeur et sa noblesse, mais rien jusqu'ici ne permet de présumer de l'issue de la procédure. Richard Ferrand peut être renvoyé devant le tribunal correctionnel comme bénéficier d’un non-lieu. Ces éléments me frappent.
Le président de la République et Guérini disent ‘’je lui accorde toute ma confiance’’. 
Qu’en savent-ils ? Cette fidélité systématique a de la noblesse, mais il me semble que c’est aussi une petite perversion de la vie politique française. Paradoxalement, elle s’empresse de ne pas tenir compte des décisions judiciaires pour manifester plutôt une sorte de solidarité politique. Ils réagissent comme si quelqu’un de leur camp ne pouvait pas avoir fauté. C'est tout de même un peu rapide.
Ils pourraient s'en tenir à la présomption d’innocence. Cela n’est pas du tout contradictoire. 

Le candidat Fillon n’avait pas bénéficié de la présomption d’innocence de la part des amis politiques de Richard Ferrand.

Je l’ai compris trop tard, mais François Fillon a fait l’objet d’un matraquage judiciaire. Je ne sais pas si l’action du PNF a été à l’époque téléguidée. En revanche, elle a été redoutablement efficace. Je me reproche de ne pas avoir perçu tout de suite à quel point il y avait une dévastation judiciaire. J’ai d’abord mis en avant qu’il n’était pas inutile pour des citoyens de savoir dans le détail ce qui était reproché ou non à un candidat qui avait le vent en poupe.
Tout cela montre que notre justice, même dans le registre politique, n’est pas médiocre. Et cette association est tout à fait utile à la démocratie quoique l’on pense de ses actions et de ses interventions.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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