Peut-on sortir du système électrique européen ? Quelles solutions à court et moyen terme (2/2)

FedotovAnatoly/Adobe Stock
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Depuis que de nombreuses professions libérales et entreprises, étranglées par les prix stratosphériques de l’électricité, menacent de mettre la clef sous la porte, la société française (citoyens, politiques et médias) est partie en croisade contre le système électrique européen. Indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz dans un marché ouvert et concurrentiel, il est considéré comme le principal responsable de la situation. Pour régler le problème, il suffirait d’avoir la « volonté politique » d’en sortir, une volonté qui serait « contraire à l’idéologie d’un exécutif pro-européen manipulé par l’Allemagne ». Est-ce vraiment aussi simple ? Sortir du système électrique européen suffit-il à déconnecter les prix de l’électricité de sa source marginale. Quelles en seraient les conséquences à court moyen et long terme ?

L’Espagne et le Portugal en exemples

Pour justifier d’une sortie d’un système « jugé absurde », l’opposition parlementaire met en avant l’exemple de la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal) devenue, grâce à une dérogation de l’Union européenne, un « îlot » électrique indépendant. Les prix de l’électricité y sont effectivement aujourd’hui trois fois inférieurs à ceux des autres pays de l’Union. Pourquoi cette exception et à quelles conditions pourrait-elle s’étendre à d’autres membres de l’Union européenne ?


Par rapport à ses confrères européens, la péninsule Ibérique est une « île électrique ». Sa situation géographique particulière l’a obligée à développer des stratégies davantage nationales avec des mix électriques très équilibrés (37 % ENR, 25 % de gaz et 21 % de nucléaire). Possédant le parc de regazéification le plus développé d’Europe, elle n’importe pratiquement pas de gaz russe.

Mais la déconnexion ne lui permet pas pour autant de décorréler les prix du gaz de ceux de l’électricité. Indépendamment de tout échange sur la grille européenne, il y existe un marché libre de l’électricité avec de multiples acteurs publics et privés. Madrid et Lisbonne ont donc été contraints de subventionner le gaz utilisé par les électriciens. Une opération contraignant la seule Espagne à 15 milliards d’euros de dépenses publiques en 2022.

S’abstraire de la corrélation gaz/électricité requiert donc deux conditions : 1) posséder des capacités nationales suffisantes pour être autonome en toutes circonstances ; 2) éliminer toute concurrence intérieure en revenant à un monopole naturel non concurrentiel capable de pratiquer un prix moyen.

Se déconnecter du système électrique européen : à quelles conditions ?

Sortir unilatéralement du système électrique ne serait pas sans poser un certain nombre de problèmes politiques vis-à-vis de nos partenaires européens avec lesquels nous nous sommes engagés à collaborer.

En dehors de tout aspect politique, la France n’a de toutes les façons pas la capacité de sortir à court terme du système électrique européen. Par suite de l’arrêt de nombre de ses réacteurs nucléaires, l’Hexagone est devenu importateur d’électricité. Avant d’engager toute négociation avec Bruxelles la France doit au préalable récupérer sa pleine capacité, sous peine de se retrouver en position de pénurie électrique.

Éliminer le marché intérieur et revenir à un monopole naturel

Comme pour l’Espagne et le Portugal, sortir (momentanément ou définitivement) du système électrique européen n’affranchira pas pour autant la France de la corrélation gaz/électricité. Pour s’en exonérer et pratiquer un prix moyen, il faudrait revenir à un monopole naturel et dégager du marché intérieur des fournisseurs alternatifs encouragés à déplacer leurs activités vers l’électricité. Une telle décision nécessiterait pour l’État « endetté jusqu’à l’os » de les dédommager à coups de subventions publiques. Coûteux, ce retour à la case départ s’avère de surcroît très risqué à terme.

Quelle décision est-elle souhaitable à moyen/long terme ?

Si la situation énergétique actuelle pourrait, à juste titre, motiver certains à se retirer d’un système électrique européen devenu fou, le retour au nationalisme électrique d’antan apparaît très risqué au regard du futur électrique vers lequel nos gouvernements se sont engagés.

La décarbonation des usages reposera en grande partie sur le « grand remplacement » des équipements thermiques par des équipements électriques. Engendrant un presque doublement de la consommation électrique, accélérant la mise en œuvre des renouvelables et, donc, implicitement, la demande de gaz, il devrait renforcer le besoin d’échanges (électricité et gaz) entre pays voisins avec une grille européenne intelligente beaucoup plus intégrée.

À court terme, plusieurs solutions ont été envisagées pour faire baisser le prix du MWh à l’échelle européenne. La méthode ibérique consistant à subventionner l’électricité gazière et à compenser les États en prélevant sur les superprofits des producteurs infra-marginaux (ENR, notamment) apparaît comme la méthode la plus simple et la plus efficace. Elle a malheureusement été rejetée par l’Allemagne qui, en tant que pays fortement gazier, donnerait implicitement un avantage concurrentiel à la France. En dehors d’aspects purement financiers, certains craignent qu’une telle mesure n'encourage le recours au gaz redevenu artificiellement compétitif par rapport aux autres sources de génération électriques.

Important 90 % de son gaz, l’Europe ne peut que constater son impuissance à impacter les prix. Tel n’aurait été le cas si elle avait maintenu, au moins en partie, sa production intérieure comme les Américains grâce à leur gaz de schistes. Le marché y est captif et le prix du gaz dix fois moins élevé qu’en Europe !

Pourtant, malgré son modèle énergétique défaillant, l’Allemagne enfonce le clou et cherche désormais à entraîner le reste de l’Europe dans ses choix renouvelables et antinucléaires. Et, face à ce diktat, la réponse de la France reste hélas très timide.

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

18 commentaires

  1. Bonne analyse. La libéralisation du marché de gros entre 2000 et 2004 avait du sens, pour la plupart des industriels. Celle du marché grand public en 2007 n’en avait guère. Ca répondait seulement au CREDO libéral de l’euro. Le coup de grâce fut donné en 2001, avec l’ARENH ! 4 ans après l’ouverture du marché pour les particuliers, très peu de clients avaient quitté EDF pour les quelques concurrents de l’époque, Pourquoi ? Parce le prix de production avantageux de l’électricité nucléaire bénéficiait seulement à EDF ! L’ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique) a alors été mis en place pour permettre aux concurrents d’EDF de bénéficier de cette énergie nucléaire à un prix imposé par l’Etat, à un prix bien inférieur au prix de revient pour EDF si on y inclut les amortissements… Et récemment ces fournisseurs ont obtenu un accroissement de la part du nucléaire EDF pour leur permettre de survivre à la crise de l’énergie. Le Gouvernement est coincé entre le bon sens économique (pour l’énergie) et le respect des règles européennes qui, à ce jour, ne remettent tjrs pas en cause le principe « sacro-saint » du marché dans le secteur de l’énergie…

  2. Le seul véritable problème pour la France c’est la mise à l’arrêt puis les pannes actuelles d’une majorité de ses réacteurs nucléaires….suite aux décisions coupables des gouvernements Hollande et Macron qui ont dissuadé la direction d’EDF de procéder à l’entretien de structures destinées à être supprimées !!!

    Tout le reste n’est que liittérature d’enfumage : EDF A VOLONTAIREMENT ETE DETRUITE. Stop..

  3. La France a un comportement suicidaire largement accéléré par l’incompétence de ses dirigeants depuis des décennies. Essayer de nous faire croire que la France ne peut pas sortir de ce marasme équivaut à donner le champ libre aux escrocs qui la mène à sa perte. Une qui doit bien rigoler et se frotter les mains c’est l’Allemagne qui a enfin sa revanche et nous fait payer ses décisions erronées en matière énergétique au prix fort. Exit son principal concurrent européen !

  4. On nous avait prévenu que l’on risquait fortement d’avoir des coupures d’électricité.
    Alors qu’on fourni des quantités importantes de gaz à l’Allemagne qui nous permettrait pourtant de fabriquer de l’électricité, on met en avant ce régime stupide pour nous dire qu’on POURRAIT avoir besoin de l’électricité allemande fabriquée par des centrales au charbon (et même lignite) en cas de pénurie.
    Risque ou pas risque, une chose est sûre nous payons l’électricité trois à cinq fois plus cher que si on mettait fin au système.

  5. Non , la péninsule ibérique n ‘ est pas eu « île électrique » , elle est toujours raccordée au réseau européen ! Qu ‘ ils équilibrent leur production/consommation est tout à leur honneur , mais en cas de pépin , les secours seront toujours là ! Idem pour la France : techniquement elle sera toujours raccordée au réseau commun , mais financièrement rien ne l ‘ empêche de faire à sa guise ! Il faut juste avoir le courage de reconnaître que la « libéralisation » de l ‘ électricité fut une connerie qui nous mène au désastre actuel => Macron n ‘ a-t-il pas reconnu que : « confier à un pays lointain la production de biens aussi stratégique , c ‘ était une FOLIE  » !! Raison de plus pour le prendre à la lettre …

  6. En plus dire que le marché de l’electricité est libre relève de la farce. On impose le prix du gaz et des intermédiaires qui n’ont aucune raison d’être. Les prix sont donc en permanence manipulés. On reste dans ce qui est une gigantesque escroquerie. Pour le plus grand bénéfice de l’Allemagne et des fournisseurs d’énergie intermitante, pour le plus grand désastre de notre économie.

  7. Résultats de l’incompétence et de la soumission de nos élus depuis trop longtemps face à l’UE dont la volonté a été de détruire notre énergie nucléaire , trop performante , pas chère et propre au profit de lobby avec l’aide de ces écolos destructeurs et lâches .

  8. L’Espagne et le Portugal n’y sont pas, donc quand on veut on peut….Mais s’attaquer à l’Energie de la France, c’est continuer à l’abattre, surtout si cela vient du Gaullisme qui a tenu tête aux U.S.A. et à Bruxelles, en voulant une U.E. des Etats Nations et non un Empire entre les mains de l’Impératrice V.D.L. aux ordres de Washington…avec notre Président qui suit à la lettre les Conseils et Ordres extérieurs…

  9. Voici bientôt 50 ans que nos dirigeants œuvrent à la destruction de notre bien commun et à l’anéantissement de nos services publics. On n’a pas besoin d’ennemis quand on a de tels personnages à la tête de l’état.
    Les deux guerres mondiales subies par notre pays ont elles seulement créé autant de ravages que ceux infligés par nos « élites » à notre pauvre France ?

  10. Il suffit de se connecter sur le site de RTE , pour voir qu’il est possible de se sortir de ce marché . A chaque instant nous sommes soit importateur ou exportateur d’électricité . L’exportation vers l’Espagne est limité à environ 3 GWh , soit la production de trois réacteurs classiques de 900 Mwh . Une exportation limité par la capacité de transport vers l’Espagne. Comme le disent d’anciens patrons d’EdF , la France peut sortir . Avant le marche, les échanges avec les autres pays existaient. Ce matin à 5Hoo, la France avec son nucléaire produisait 40 GWH 61 % de l’electricité consommée, soit 63 % de la capacité nucléaire , Hydraulique 8, 55%, Eolien 19,6 %.
    Exportations : 2,64 GWH vers l’Espagne, 3,38 GWH vers la Suisse ,2,29 GWH vers l’Allemagne
    Importation ,2,7 GWH depuis la G.B
    Alors qu’on arrête de nous prendre pour des jambons !
    On peut sortir , simple question de volonté politique

  11. Disons qu’il n’y a pas de réponse de la France, la seule solution sera pour les pays européens, d’envoyer une majorité de député européens opposés à la politique actuelle de l’europe et de la folle germanique

  12. Ce qui en résulte est que nous tuons notre parc nucléaire pour être agréable à l’Allemagne pour engraisser les opérateurs d’énergie Renouvelable étrangers pour la plupart. Nous sommes conduits par des pourris. Mais qui a voté?

    • 18,7 millions de voix pour Macron au deuxième tour. Les responsables, ce sont eux! Et ils ne peuvent pas prétendre qu’ils ne savaient pas…

  13. L’UE en gendre une multitude de problèmes à notre pays dont le système européen. On nous a fait croire sous Mitterrand qu’il fallait cette union afin de préserver la paix. Cela nous faire sourire maintenant quand on écoute les propos d’Ursula von der Leyen ! Posséder des capacités nationales suffisantes pour être autonome en toutes circonstances et revenir à un monopole naturel non concurrentiel capable de pratiquer un prix moyen, est l’objectif que nous devons poursuivre. Et pas d’extraction de gaz de schiste au risque de ne plus avoir d’eau potable ! Je fais partie de ceux qui souhaite retrouver notre souveraineté et quitter les diktats de l’UE.

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