Patrimoine : à Najac (Aveyron), le pont médiéval bétonné sans vergogne

©MajorDOOM (d | contributions) Wikimedia
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Après les 39 menhirs « disparus » à Carnac, on a connaissance d’un autre faux pas patrimonial : à Najac (Aveyron), le pont Saint-Blaise, beau pont de pierres qui franchit l’Aveyron, a été réparé de façon détestable. Une partie du parapet a tout simplement été bétonnée et, pour que cela soit pleinement du travail de sagouin, les maçons ont « dessiné » les joints des pierres avec une désinvolture totale, au doigt. Cela ressemble à un muret dressé entre le potager et la pelouse par un bricoleur du dimanche trop ambitieux. Problème : le pont Saint-Blaise, datant du milieu du XIIIe siècle, est un monument historique classé en 1987.

Un monument déjà peu protégé : le parapet a été endommagé lors de l’opération d’entraînement « Manticore », en septembre 2022, par le passage d’engins militaires manifestement trop larges et auxquels il aurait été judicieux d’interdire le passage. Le mal étant fait, il s’agissait de le réparer. Les travaux se sont déroulés en mai, avec le résultat décrit, et pour la plus grande colère des habitants de Najac. La mairie leur a adressé cette réaction : « Nous partageons votre émotion et déplorons un tel manque de rigueur sur un monument classé. Nous alertons les services du département, commanditaires des travaux, et de l’architecture afin que cela ne reste pas en l’état. » Le jugement d’André At, premier vice-président du conseil départemental et président de la commission des routes, est sans appel : « Ce qui a été entrepris correspond à une dégradation supplémentaire. »

Les Bâtiments de France, eux, se sont d’abord montrés très détendus sur la question : « À ce stade-là, ça ne peut être que provisoire, en attendant mieux » – du provisoire en béton ? Voilà des architectes qui ne doivent pas souvent mettre la main à l’auge ! Ils ne sont pas loin de trouver que tout est pour le mieux : « La saison estivale approche, et le département est garant de la sécurité des personnes, poursuivent les Bâtiments de France. Au moins, ça sécurise le lieu... » Réponse légère, voire irresponsable. Comme le rappelle le site du ministère de la Culture, en matière de monuments historiques, « le classement entraîne un niveau d’exigence plus fort que pour l’inscription, notamment en ce qui concerne le niveau de qualification des architectes chargés de la restauration des immeubles classés ». Les architectes des Bâtiments de France et les agents du conseil départemental se sont retrouvés sur le pont le 26 mai pour y regarder de plus près, suite aux réactions scandalisées. Leur conclusion a été sans appel : il faut démolir la « réparation » et redonner au pont Saint-Blaise la maçonnerie qu’il mérite.

Pour autant, la malfaçon reste inexpliquée. Est-ce encore un effet du mille-feuille administratif ? L’architecte des Bâtiments de France « dépend du ministère de la Culture et de la Communication et exerce, en général, sous l’autorité du préfet de département au sein d’un Service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP) présent dans chaque département ». Le pont, lui, appartient à la commune et, classé, il demeure placé sous la surveillance dumMinistère de la Culture, tandis que la route qui y passe appartient au département, lequel avait donc la responsabilité des travaux… Le département de l’Aveyron a-t-il confié les travaux à l’entreprise qui présentait le devis le moins coûteux ? Ou a-t-il maquillé la restauration nécessaire en simple entretien d’usage pour s’épargner de monter un dossier contraignant ? Le tout sur fond général de désintérêt, pour ne pas dire de mépris, pour le patrimoine. Voilà comment on passe d’un bel et ancien appareillage de pierres, témoignage d’un goût et d’un savoir-faire français, à un ignoble bétonnage, témoignage délétère d’une autre époque : la nôtre.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Donnez-nous donc les coordonnées du professionnel qui a réalisé un travail aussi remarquable, sa modestie dût-elle en souffrir !

  2. Deux réflexions:
    D’abord il faut cesser de crier haro sur le béton actuel, invention française de Monsieur Vicat (revendiqué et breveté par l’écossais Apsdin) sans lequel notre monde actuel n’existerait pas : ponts, métro, lignes TGV, barrages hydrauliques, centrales nucléaires, immeubles tertiaires ou d’habitation, lieux culturels et cultuels pour certains…..
    Ensuite dans les travaux du BTP rien n’est vraiment définitif et tout peut être repris et refait si la volonté est là : il n’est jamais trop tard pour défaire et refaire ! Et la France dispose d’un gros potentiel d’entreprises très qualifiées MH où collaborent à la fois des tailleurs de pierre et des bétonneux

  3. Pourtant, pas loin de là, la restauration du pont médiéval de Béziers aurait pu leur servir de modèle.

  4. Pour un particulier, que de tracasseries administratives pour un car port de 27m2. J’ai dû abandonner. Alors que l’État se permet des passes droits. Nous revenons toujours à deux poids, deux mesures.

  5. Des personnes ignorantes et désinvoltes ….voilà comment notre patrimoine va disparaitre .

  6. Cassons ,détruisons ,sabotons ,,oublions …patrimoine en danger ..à qui la faute ? A un être complètement malade et n’aimant que sa petite carcasse ….le reste il s’en moque ..honte et indignité

  7. Toujours la honte concernant nos monuments et patrimoine traditionnel. Mais bien sûr il y a des financement pour les horreurs modernistes et les délires les plus farfelus

  8. Que l’on puisse utiliser aujourd’hui du ciment sur le bâti ancien est proprement hallucinant.
    Un Maçon ne devrait pouvoir intervenir sur ce type d’ouvrage, seul un tailleur de pierre en a la compétence.

  9. Dans le petit village du Lot où je vis depuis 2014, un pont de pierre (non décoratif et que je suppose non classé) a été rénové cette année-là pour des raisons de sécurité… remplacement des vraies pierres par de vagues imitations qui vieillissent mal. Le résultat donne l’impression que le travail date d’au moins 20 ans.

  10. Il semble me rappeler qu’il n’y a pas si longtemps dans un département voisin, le ministère de la culture a imposé de détruire des travaux menés par un propriétaire sur une chapelle qui menaçait ruine alors que l’architecte des bâtiments de France avait été consulté. Nous voyons là, une fois encore que la France n’est plus dirigée que par des incompétents. Il est plus que temps de faire appel à Héraclès pour mettre de l’ordre.

    •  » Nous voyons là, une fois encore que la France n’est plus dirigée que par des incompétents. » Pas des incompétents. des saboteurs, aux ordres du chef.

    • On voit surtout que la France part en compote. Quoi de surprenant, c’est la destruction programmée par Macron

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