Livre : le pouvoir et les mots, de Montaigne et Henri IV à… Emmanuel Macron !

HENRI IV

Dans un passionnant et épais volume de près de 600 pages, Le Sceptre et la Plume, publié tout récemment chez Perrin, l’écrivain, journaliste et romancier Bruno de Cessole dresse une formidable galerie de portraits d’hommes de lettres et de pouvoir. Sous-titré « Politique et littérature en France, de Montaigne à François Mitterrand », ce maître-livre embrasse cinq siècles et vingt-quatre personnalités prises dans l’étau des lettres et de la politique.

Bruno de Cessole a fait un choix. Il aurait pu se lancer avec César et Marc Aurèle. Il a choisi une période plus proche de nous. L’auteur passe ainsi sous ce double prisme des écrivains : Montaigne, Saint-Simon, Constant, Chateaubriand, Lamartine, Tocqueville, Hugo, Barrès ou Malraux. Et des hommes d’État : Henri IV, Richelieu, Louis XIV, Mirabeau, Napoléon ou, plus proches de nous, Clemenceau, Pompidou, Giscard ou Mitterrand. On chevauche à travers siècles, dans le secret des bibliothèques, la fureur des batailles et les âpres conquêtes du pouvoir, dans l’intimité de ces personnalités d’exception, qu’on les aime ou pas.

« Se faire remarquer des grands »

Surtout, on distingue entre les mots les personnalités qui se sont servies elles-mêmes, soignant leurs déceptions et leurs desseins à travers leurs textes, et celles qui ont servi la France, mettant au service de leur patrie leur vie et leur talent d’écriture. Les deux premiers chapitres, consacrés à Montaigne et à Henri IV, sont à ce titre pleins de sens.

On oublie parfois que Montaigne fut un politique avant de devenir écrivain. Maire de Bordeaux à deux reprises, de 1581 à 1585, il exerça de nombreuses missions de conciliations entre Henri III, Catherine de Médicis, Henri de Guise et le futur Henri IV, entre autres. Le fait est connu : l’ego des conseillers, souvent à l’origine des idées mais à l’abri de la gloire, est blessé. Montaigne sort de cette expérience politique écœuré, froissé, amer et résolu à briller ailleurs. « Il semble bien que l’échec de ces ambitions d’homme public soit à l’origine de l’orientation que Montaigne imprima à la fin du livre II des Essais, et surtout au livre III », écrit Cessole : une distance par rapport aux événements et à ses contemporains, « ne visant qu’à l’universalité ». Cessole note le désir de l’écrivain, « nobliau d’assez fraîche date, parlementaire de moyenne envergure », peu habile dans les sports et plutôt laid, de « se faire remarquer des grands ». Il se rend plus sympathique par son indépendance d’esprit, son goût de la chasse, de l’amitié bien sûr, des voyages et du mouvement. Mais Montaigne reste un centriste. « Ce penchant pour le juste milieu lui valut l’incompréhension, voire l’hostilité des fanatiques des deux camps », catholiques et protestants, écrit Cessole qui montre bien comment l’écrivain se détache (et ses lecteurs avec lui) de la préoccupation de l’État, autant dire de la France et du bien commun, pour se concentrer sur lui-même et porter « la littérature du moi sous sa forme la plus haute », écrit Cessole, bien avant Flaubert. Une telle personnalité était en effet sans doute davantage portée vers l’introspection littéraire que vers l’héroïsme patriotique.

Henri IV, l'amour de la France

De Montaigne, Cessole passe à Henri IV. Changement de climat. On respire soudain l’enthousiasme, l’aventure, la volonté, la vie. « Homme de mouvement et de grand air, il ne supportait pas l’inaction ni même de rester assis à une table et ne dormait que quatre heures par nuit », raconte Bruno de Cessole. La vie trépidante de ce grand vivant, dans tous les sens du mot, « ne l’a pas empêché de tenir la plume avec une fréquence et une abondance qui ne seront égalées que par un autre homme d’action et de guerre, Napoléon », assure Cessole. On avait oublié le Henri IV homme de plume. Il éclaire singulièrement le monarque. On le lit comme le jour dans ses lettres écrites à la diable (pas moins de 6.000 lettres réunies plus tard dans neuf volumes !). À son ami Manaud de Batz, qu’il surnomme Faucheur, il écrit : « Mon Faucheur, mets des ailes à ta meilleure bête […] Hâte, cours, viens, vole, c’est l’ordre de ton maitre, la prière de ton ami ! ». Qui résisterait à une telle invitation ? L’homme a du souffle, il entraîne.

À la bataille d’Ivry, Henri IV lance ce mot fameux : « Si vos cornettes vous manquent, ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de la victoire et de l’honneur ! ». Il a l’autorité et l’optimisme qui manquent à Montaigne. Montaigne flirte avec l’amertume, Henri IV, son contemporain, flirte avec le bonheur. « Henri IV est un homme heureux, à la guerre et en toutes choses », écrit Cessole. Il aime tout ce que hait Montaigne : tirer les armes, lutter, nager, jouer à la paume, danser…

Pacte ancestral entre les Lettres et le Pouvoir

Il est surtout dévoué à son peuple, qu’il aime profondément. Bruno de Cessole ouvre son livre sur le dernier successeur d’Henri IV à la tête du pouvoir en France, un certain… Emmanuel Macron qui, avant son élection, dans le journal Le Un, dissertait sur son rapport aux livres et aux lettres. Pour Cessole, « l’écrivain secret et inabouti, auteur d’un premier roman épique, Babylone, Babylone, […] un roman "qui n’a eu qu’une lectrice (disait Macron), mon épouse, et n’en aura pas d’autres", s’affichait en romancier qui n’a pas dit son dernier mot ».

Mais on mesure l’écart entre ce banquier d’affaires mondialiste jusqu’à l’aveuglement et ces Français qui ont brillé dans la politique et les lettres. Si Cessole évoque Macron, c’est, dit-il, « pour le symbole qu’il représente : la continuité assumée mais aussi la fin annoncée du Pacte ancestral entre les Lettres et le Pouvoir politique ». Un pacte mort avec Mitterrand qui, en dépit d’un bilan catastrophique pour la France, avait au moins l’amour de nos lettres.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

7 commentaires

  1. S’il est certain que le grand-père de Michel de Montaigne vendait du poisson à Bordeaux et que sa mère, « de Louppe », s’appelait, en fait, Lopez, peut-on croire que de la bouche d’Emmanuel Macron soit jamais sorti un « bon mot » ?

  2. Je pense qu’il serait souhaitable de comparer ce qui est comparable, nos brillants aînés n’ont rien de semblable avec celui qui a osé déclarer qu’il n’y avait pas de culture française.

  3. On se demande pourquoi Macron figurerait dans cette liste. Ses propos sont creux et aussi vides que sa culture

    • Un stagiaire oui, mais le problème c’est qu’il n’y a personne pour le coaché au plus près, ses directives lui viennent directement de VDL et il applique bêtement. Est-ce de sa faute ou de celle des électeurs ?

  4. Macron renvoie à une réclame publicitaire de PARIS MATCH: le poids des mots et le choc des photos. En réalité, sa politique c’est le poids du pipeau et le choc des concepts creux.

  5. On ne peut comparer Montaigne avec Macron; il manque le son de la voix de l’un et les écrits du second. L’un éveille, l’autre endort.

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