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Jeune journaliste au FigaroVox et auteur d’essais remarqués sur le féminisme, Eugénie Bastié s’est attaquée, cette fois-ci, à l’intelligentsia française, cette « passion française » qu’elle côtoie quotidiennement et dont elle a saisi le pouvoir d’attraction et de répulsion qu’elle suscite chez nos contemporains. Ce vaste panorama qu’elle dresse des idées politiques contemporaines est salutaire : les cibles d’Eugénie Bastié sont précises, ses priorités bien définies, son propos alimenté par une vaste connaissance de l’histoire des idées qui lui vient aussi bien de sa formation que de ses fréquentations. Pour cet essai, l’auteur a en effet rencontré une trentaine d’intellectuels de tous bords, l’aidant à affiner l’analyse qu’elle donne du débat intellectuel contemporain.

Dès les premières pages, l’auteur fait le constat du retour « de la guerre froide des idées » - censure, sectarisme, culture du clash - au détriment de cette période bénie des années 80-90 où prévalait « une éthique de la discussion » qui permettait en toute courtoisie mais non sans vigueur à BHL de débattre avec Maurice Bardèche sur le plateau d’« Apostrophes ».

Certes, le niveau du débat intellectuel a baissé, les gens ne lisent plus. « Un professeur d’université était autrefois un notable, aujourd’hui c’est un prolétaire » (Olivier Babeau), et, à partir des années 2000, le retour de l’Histoire marqué par les attentats du 11 septembre, la crise financière de 2008, le péril islamiste et la crise migratoire a signé celui du débat conflictuel.

Les intellectuels ont une vraie responsabilité dans cette difficulté à débattre réellement, aujourd’hui, en France : Bastié parle ainsi avec raison d’une nouvelle trahison des clercs. L’intellectuel généraliste, dont la vaste érudition s’ouvrait à de nombreux domaines au-delà de son champ d’études, a fait place à l’hyperspécialiste, souvent en difficulté dès qu’il s’agit d’avoir une réflexion, une hauteur de vue propice à éclairer le débat contemporain. Conséquence de cela : la montée en puissance des vulgarisateurs médiatiques, aux dépens, souvent, de la nuance, de la subtilité et de la justesse d’analyse. Cette trahison des clercs, on la retrouve d’ailleurs dans cette folie importée des USA que sont les nouvelles idéologies indigénistes, racialistes et autres gender studies dont les universités françaises, Sciences Po en tête, se gargarisent. L’auteur dénonce ainsi la pitoyable défense d’une gauche en mal d’idées originales, d’une social-démocratie faillie : cette radicalisation de la pensée de gauche, cette guerre des identités, Eugénie Bastié la voit en effet comme le fruit de l’impuissance politique de la gauche « SOS Racisme ». La seule option qui leur reste, pour offrir une vision systématique du monde, après la mort du marxisme et de ses avatars, est la déconstruction. On est passé de la puissance du logos au règne du pathos : cancel culture et « wokisme » tentent avec violence de s’imposer par le biais de l’imparable victimisation : c’est le droit à ne pas être offensé. On ne peut pas mieux « tuer » le débat !

En face, il y a, nous dit l’auteur, le renouveau conservateur dont elle nous dit qu’il n’a pas supplanté l’hégémonie culturelle de la gauche, mais qu’il a réussi à fortement la fragiliser. Pas de triomphalisme, donc, mais une vraie diversité : des intellectuels médiatiques, dont l’influence se mesure notamment par des succès éditoriaux affolants, une jeune garde intellectuelle qui vient en renfort, des mouvements et cercles de réflexion nés de la Manif pour tous. Car le déclenchement fondateur de cette sortie du bois, de cette nouvelle visibilité de la pensée conservatrice, ce catalyseur d’énergies, ce furent bien les manifestations de 2013. L’auteur y voit aussi le rôle de Nicolas Sarkozy, ce qui nous paraît contestable.

Aujourd’hui, même si « l’espace proprement intellectuel s’est incroyablement rétréci » (Marcel Gauchet), l’auteur veut croire, malgré une nette radicalisation des débats, à un pluralisme retrouvé. L’irruption des réseaux sociaux et la gravité d’une situation historique inédite ont fait se lever bien des tabous.

Puisse-t-elle avoir raison sur le long terme !

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06 juin 2021 à 16:00

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