Lettre d’Algérie : pourquoi les choses risquent de mal tourner (suite)

drapeau algérien

Le sort de l'Algérie se joue d'ici le 4 juillet. Et, avec lui, la situation géopolitique du Maghreb et de la Méditerranée pour des décennies.

La situation était bloquée depuis 1962, beaucoup d'historiens concédant que les choix et les processus menant à l'indépendance furent ratés par la France. Le peuple algérien, dont plus de la moitié est née après 1962, fait preuve de maturité et de calme alors que la situation se tend peu à peu dans le pays.

De trois personnalités va dépendre le cours de l'Histoire, et d'abord le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, âgé de 79 ans. On attendait sa réponse à l'appel lancé samedi par trois personnalités d'expérience : Rachid Benyelles (général retraité), Ali Yahia (avocat, ancien président de la Ligue algérienne des droits de l'homme), Ahmed Taleb Ibrahimi (ancien ministre des Affaires étrangères). Ce texte insistait sur l'idée que l'armée « doit nouer un dialogue franc et honnête » sur « la nécessité d'une solution consensuelle » et sur celle de « passer par une période de transition afin d'instaurer une vraie démocratie » (El Watan, 19 mai).

Cet appel a été rallié par une grande partie de la classe politique, des dizaines de maires, la presse libre, les syndicats, les corps constitués (syndicats, magistrats, avocats notamment), unis dans le refus de la tenue de l'élection présidentielle ce 4 juillet. Certes, 74 candidats se sont déclarés pour cette élection avant la clôture, ce 20 mai, mais aucune grande figure politique (mis à part Abdelaziz Belaïd, du parti El Moustakbal) ne s'est compromise dans ce processus dont les millions de manifestants estiment qu'il est pipé en l'état actuel du système politique et électoral. Le risque est grand, si cette élection est maintenue à la date prévue, que naissent de graves désordres et/ou l'élection du candidat du FLN, suivie d'une situation à la vénézuélienne.

Le général Salah, dans sa déclaration assez subtile (eBourse d'Algérie, 20 mai), n'a pas pris parti sur la date du 4 juillet mais a affirmé que « la tenue des élections présidentielles exige l’accélération de la mise en place de l’instance indépendante pour l’organisation et la supervision des élections, afin d’éviter le vide constitutionnel ».

Le général s'affiche comme un défenseur de la loi et de l'ordre, et a déjà pris des mesures très fermes, tels les barrages militaires des routes menant de l'est et de l'ouest vers Alger, pour empêcher des centaines de véhicules de rejoindre les grandes manifestations du vendredi.

Il fait une application sévère du Code de justice militaire pour arrêter, inculper, emprisonner et faire juger des dizaines de cadres et oligarques de l'ancien pouvoir accusés de corruption (comme le frère de Bouteflika) et des politiques et militaires accusés de compromettre la défense nationale par des déclarations ou actions intempestives (ce qui est passible de la peine de mort).

Il répond aussi à la motion susvisée en indiquant - et ce point est passé inaperçu - que les revendications citoyennes doivent mieux s'organiser « dans le cadre d’un dialogue sérieux et constructif avec les institutions de l’État, prenant en considération les revendications réalisées jusqu’à présent, grâce à l’accompagnement permanent de l’[armée] qui s’est engagée à ne pas être partie prenante à ce dialogue escompté ». Ahmed Gaïd Salah exclut donc toute ingérence militaire dans le processus politique en cours et insiste sur les dangers économiques que subit l'Algérie, sur les dangers aux frontières, l'instabilité dans les régions (l'Algérie est quatre fois plus étendue que la France) et les ingérences étrangères (il vise sans doute le Maroc).

Désormais, la balle est dans le camp des deux autres personnages clés : le chef d'État par intérim Abdelkader Bensalah, honni par les foules du mardi et du vendredi. Et le président du Conseil constitutionnel Kamel Feniche, remplaçant le démissionnaire Tayeb Belaiz.

Des voix autorisées s'élèvent pour que, s'appuyant sur la Constitution, ces deux personnages constatent le blocage de la situation politique et sursoient au scrutin du 4 juillet :
"Art. 7 Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple.
Art. 8 Le pouvoir constituant appartient au peuple... Le peuple l'exerce aussi par voie de référendum et par l'intermédiaire de ses représentants élus. Le Président de la République peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple."

NDLR : cette lettre fait suite à celle publiée dans ces colonnes le 15 mai.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:33.

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