Les vœux du préfet Didier Lallement : du Trotski dans le texte !

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Didier Lallement, préfet de police de Paris, est décidément un drôle de pistolet, tel qu’en témoigne sa carte de vœux millésime 2021 : « Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. Sachez seulement et souvenez-vous bien que, sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables. » Cette phrase n’est pas d’Achille Talon, le très verbeux héros de Greg, encore moins d’Edward John Smith, ci-devant capitaine du Titanic, mais de Léon Trotski, qui la prononça le 21 avril 1918, alors qu’il mettait l’Armée rouge en bon ordre de marche avec le succès final qu’on sait.

Le corps préfectoral n’étant pas précisément connu pour sa fantaisie et ses traits d’esprit, pourquoi une telle sortie ? La provocation ? À la façon d’un Georges Frêche, naguère patron de la région Languedoc-Roussillon et ancien maoïste qui, en 2008, entendait installer une statue de Lénine en plein Montpellier ? Pas fatalement, sachant que la véritable provocation aurait consisté, pour notre préfet, à évoquer sur la carte de vœux en question une personnalité historique tout aussi controversée, Benito Mussolini, par exemple. « Tout dans l’État, rien contre l’État, rien en dehors de l’État. » Voilà qui, même si risqué en matière de communication métapolitique, aurait été probablement plus raccord avec le discours tenu face à une militante des gilets jaunes : « Nous ne sommes pas dans le même camp, madame ! » Car l’État, c’est Didier Lallement, et les gueux en pleine révolte fiscale, c’est elle ; c’est « eux », ceux qui ne sont « rien », pour reprendre la vulgate macronienne.

Plus prudemment, Didier Lallement a donc opté pour Léon ; pas Degrelle, le « grand Léon », mais l’autre, Trotski, le premier tueur en masse de l’Histoire, bien avant Joseph Staline qui, tout aussi communiste, était au moins, lui, patriote russe. D’où la judicieuse idée de le faire massacrer à coups de piolet dans son exil mexicain par un certain Ramón Mercader.

Notre préfet, même si un peu aux champs, pour paraphraser Alphonse Daudet, n’en a pas pour autant la cervelle qui bat la campagne. Historiquement, il nous vient du CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste), club fondé par Jean-Pierre Chevènement qui permit à François Mitterrand d’en finir avec la SFIO pour fonder le Parti socialiste, lors du congrès d’Épinay de 1971. Soit ce que la gauche française d’alors pouvait donner de mieux, le CERES étant structurellement opposé à cette gauche donnée pour « américaine », alors incarnée par Michel Rocard et Jacques Delors et théorisée par les mirliflores de L’Express.

Alors, à qui donc peuvent s’adresser ces mots a priori sibyllins ? Plus aux Black Blocs qu’aux militants identitaires, semble-t-il. En effet, quoique appartenant à la mouvance d’extrême gauche, les agitateurs en noir relèvent surtout du courant anarchiste. Les trotskistes, tout comme les communistes staliniens, voulaient un ordre nouveau, fondé sur l’État, même si mâtiné de révolution permanente. Au contraire, les Black Blocs anarchistes, depuis le Français Ravachol et les Russes du groupe Narodnaïa Volia, veulent la fin de toute forme d’État constitué. En 1921, leurs prédécesseurs tentent de prendre le contrôle de Kronstadt, en opposition au pouvoir bolchevique. Et Léon Trotski les écrase sans pitié, au prix d’une dizaine de milliers de morts. Voici peut-être la teneur du message envoyé par notre préfet à ces émeutiers professionnels…

Paradoxalement, on notera encore que ces Black Blocs demeurent aussi les meilleurs alliés de l’actuel pouvoir, puisque permettant, par leurs violences et autres débordements largement tolérés par cette même préfecture de discréditer toute forme d’authentique révolte. Pas sûr que Didier Lallement, dans son numéro de matamore digne d’un Christophe Castaner, ait pu saisir la contradiction.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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