L’économie « Potemkine » des États-Unis

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Les médias ne font que parler du faible taux de chômage et d’une brillante situation économique, bancaire et boursière aux États-Unis, mais 51 millions de ménages américains sont en très grande difficulté. 43 % ont un niveau de vie inférieur à celui des classes moyennes ; 16 millions des ménages sont pauvres et 35 millions sont classifiés « Alice », c’est-à-dire ayant peu d’actifs et de revenus, même s’ils ont un emploi.

En fait, 50 millions d’Américains vivent dans la pauvreté. 95 millions d’Américains aptes au travail ne font pas partie de la population active. Le chiffre officiel du chômage est de 4 %, mais le chiffre réel est plus proche des 20 % comme je l'expliquais dans ces colonnes en novembre 2017. 66 % des Américains gagnent moins de 20 dollars de l’heure. Seule une petite minorité a bénéficié de l’expansion de crédit et de l’impression monétaire.

Dès l’université, les étudiants ont une dette moyenne de 35.000 dollars pour couvrir leurs frais de scolarité. Près de 50 % des Américains éprouvent des difficultés financières. Les défauts de 5,9 % sur les cartes de crédit pour les petites banques sont plus élevés que pendant la crise de 2008. On retrouve, aux États-Unis, le drame des conséquences du libre-échange mondialiste qui a vu dans les pays développés le pouvoir d’achat des citoyens stagner depuis un quart de siècle tandis que l’essentiel des gains de la croissance était capté par 1 % de la population (22 % des revenus et 35 % du patrimoine des ménages aux États-Unis). L’économiste Branko Milanović, de la Banque mondiale, a mis en évidence ce phénomène avec son fameux graphique de « la courbe de l’éléphant » : les 1 % les plus riches sont encore plus riches, la classe populaire des vieux pays riches a stagné tandis que les classes moyennes indiennes et chinoises se sont enrichies et que la pauvreté a reculé dans le monde.

La dette fédérale publique des États-Unis double, en fait, tous les dix ans pour éviter une récession et garantir une croissance faible de 2 % (5.500 milliards de dollars en 1998, 10.000 milliards en 2008, 21.000 milliards en 2018) tandis que cette dette passait de 60 % du PIB, en 1998, à 107 %, en 2018. Et à l’horizon de cinq ans, en 2023, suite à la politique de Trump (diminution de la fiscalité et hausse des dépenses publiques), les États-Unis seront la seule économie au monde dont la dette publique aura encore augmenté par rapport au PIB, pour atteindre environ 115 %. Selon les experts du Congressional Budget Office, le déficit public américain se montera à 981 milliards de dollars en 2019, pour dépasser 1.000 milliards dès 2020. Quant au seul service de la dette américaine, il s’achemine aussi vers un montant record dans le monde de 3,5 % du PIB.

La question se pose de savoir qui va vouloir encore acheter de la dette américaine. La Fed a prévu de diviser la taille de son bilan par deux au rythme de 50 milliards par mois, afin qu’il passe de 4.500 milliards de dollars à 2.200 milliards d’ici 2022. Par conséquent, la Fed sera vendeuse nette d’obligations américaines et la dette nouvellement issue devra trouver preneur sur le marché. Les investisseurs étrangers, qui détenaient 6.300 milliards de dollars de dettes en 2017, se sont mis en grève en 2014 tandis que la Chine et le Japon sont vendeurs nets depuis 2011 et 2015, que la Russie a vendu la moitié de son portefeuille d’obligations américaines, d’où le très grand risque de remontée des taux d’intérêt avec les investisseurs institutionnels et les particuliers américains, comme seuls acheteurs, et donc de krach à Wall Street.

La réduction du bilan de la Fed ne sera donc pas un événement aussi barbant que de « regarder de la peinture sécher » face aux dangers pour l’Amérique, les pays émergents et l’Europe de la remontée des taux d’intérêt à long terme. IL est donc probable que la réduction du bilan de la Fed s’arrêtera, en 2019 ou 2020, à 3.700 milliards de dollars. Et pour les taux d’intérêt à court terme, il est tout aussi improbable que la Fed les augmentera encore de quatre fois, de 0,25 % pour atteindre le chiffre de 3 % en juin 2019, afin de disposer d’une marge de sécurité en cas de krach, arrêt de création d’emplois, inflation moins forte que prévue. Bref, même aux États-Unis, la situation n’est pas aussi brillante que certains voudraient nous le faire croire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 17:44.
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Marc Rousset
Économiste - Ancien haut dirigeant d'entreprise

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