Le livre de l’été : Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier (5)

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Comme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier.

Avec le pianiste Liberace, sorte de Richard Clayderman américain avant l’heure, le mauvais goût devient un art à part entière. Les photos de ses innombrables demeures en témoignent encore. Au-dessus des murs, pas de barbelés ou de tessons de bouteille incrustés dans la pierre, mais des bandes de tulle rose. Ses piscines ? Elles sont creusées en forme de piano. Son mobilier ? En regard, l’intérieur de Michael Jackson ferait presque figure de monastère cistercien. Il collectionne aussi les voitures de luxe, les paye à prix d’or avant de les faire décorer à son goût. À coups de paillettes et de strass et de moquette rose. Dans le même temps, il entretient une horde de chiens pékinois permanentés. Pour lui, trop n’est jamais assez. Les meubles de la duchesse d’York sont à vendre ? Il les lui faut. Un gobelet d’argent ayant appartenu aux tsars russes est mis aux enchères chez Sotheby’s ? Qu’importe, Liberace est prêt à renchérir sur n’importe quel milliardaire pour acquérir un peu de la légende des Romanov.

[…] Pis que tout, ce satrape crânement assumé est imbattable dès lors qu’il s’agit de tordre le cou à cette musique classique qu’il interprète d’une manière pour le moins singulière sur scène : « Les grands adagios, les grands concertos, ça passe encore mieux quand on vire les passages qui font chier tout le monde. Ce qu’il faut, c’est garder les quelques accords qui font vibrer le public. Le reste, on dégage ! »

Son père, le pauvre Salvatore Liberace, a dû s’étrangler de rage à la lecture de ces quelques phrases… Comme, de sa tombe, il aurait pu se désoler de lire cet avis rendu par le critique américain Scot Hacker : « Demandez au premier venu de décrire le style de Liberace, il vous utilisera naturellement des adjectifs tels que “flamboyant” ou “somptueux”. Mais, pour être tout à fait honnête, s’il est un grand pianiste au sens technique du terme, il n’y a jamais eu la moindre once d’inspiration dans son jeu. »

Un peu méchant, mais pas totalement faux. D’ailleurs, le principal intéressé en a toujours été peu ou prou conscient, tout en s’en moquant comme de sa première rivière de diamants. Le public l’aime et il est bien le seul, pourrait-on conclure en paraphrasant Sacha Guitry.

[…] En 1956, Liberace entame sa première tournée à l’étranger. Direction l’Angleterre, un choix qui se révèle rapidement être une mauvaise pioche. Son premier récital à peine achevé, le Daily Mirror, tabloïd tenu pour emblématique de cette « gutter press », soit la « presse de caniveau », titre en première page : « Liberace ? Une tapette peroxydée aux yeux de biche… »

La suite est à l’avenant : « personnage grotesque », « musique pour auto-tamponneuse », « pédé déguisé en ice-cream ».

Et le meilleur pour la fin : « Liberace, le plus grand vomi sentimental jamais entendu… »

La riposte de Liberace est immédiate :
— Je ne veux même pas connaître le nom de l’ordure qui a écrit ça. Je veux seulement qu’il soit crucifié au tribunal… Et j’irai en rigolant à la banque toucher mon chèque à l’issue du procès !
Gagné. Devant les juges, Liberace affirme, sans rire, que « l’homosexualité est une abomination » et le Daily Mirror est condamné à des dommages et intérêts – pour une somme modeste, toutefois, quinze mille ou vingt-quatre mille euros, selon les sources – ; mais plus aucun journaliste ne s’avisera à venir le chatouiller sur ses mœurs.

Sa vie a récemment été adaptée au cinéma, avec Michael Douglas dans le rôle-titre.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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