Le Kremlin coupe le gaz aux Polonais et aux Bulgares

GAZ

En décidant de couper le gaz à la Pologne et à la Bulgarie, tous deux réfractaires au paiement en roubles exigé par la Russie, Vladimir Poutine a donc envoyé un premier « missile virtuel » à l’Union européenne. En mettant pour la première fois à exécution le chantage gazier, le maître du Kremlin entend rester à court terme maître des horloges. Bien au-delà du support du rouble, Poutine cherche surtout à fracturer le camp européen dont il connaît les divisions sur la question cruciale du gaz et de son potentiel embargo.

Bien qu’écartant toute transaction directe en roubles, les vingt-sept ont accepté implicitement le diktat de Poutine en autorisant les compagnies distributrices (Engie en France) à ouvrir des comptes en roubles auprès de Gazprombank, ce dernier transformant les euros en monnaie russe avant de les verser à Gazprom. Refusant de se soumettre aux nouvelles règles imposées par le Kremlin, les distributeurs polonais et bulgares ont été logiquement sanctionnés. Ils semblent assumer la situation, affirmant qu’ils s’y étaient préparés de longue date : rempli à hauteur de 76 % (contre 32 % pour l'ensemble de l'Union européenne), le stock polonais serait ainsi pratiquement capable de passer l’hiver 2022.

L’Europe peut-elle pour autant gérer cette situation à la fois sur le plan de l’approvisionnement et de la distribution ?

La Pologne (20 milliards de mètres cubes par an) et la Bulgarie (3 milliards) ne comptent que pour 6 % de la consommation des 27 (400 milliards de mètres cubes annuels). Une partie significative de ce déficit pourrait être compensée par du GNL importé notamment des États-Unis (15 milliards de mètres cubes promis par Joe Biden), d’autant que la Pologne dispose, sur la mer Baltique (Poméranie occidentale) d’un terminal méthanier capable de regazéifier 7,5 milliards de mètres cubes par an et qu’un nouveau pipeline la reliant à la Norvège sera mis en service à l’automne prochain. Au niveau de la distribution, et compte tenu de la fermeture du gazoduc Yamal qui approvisionnait la Pologne, certains flux peuvent aisément être inversés pour approvisionner les deux pays privés de gaz russe. À court terme, la solidarité européenne pourra donc assez aisément gérer cette situation inédite.

Mais le maître du Kremlin va-t-il s’en arrêter là ? On peut en douter. Dans l'immédiat, Poutine reste le maître du jeu. Il sait que les productions mondiales sont pratiquement incompressibles et que les presque 160 milliards de mètres cubes importés de Russie par l’Union européenne ne pourront être remplacés en totalité. Après avoir fermé le Yamal, il pourrait, à la prochaine « incartade européenne », décider de fermer le Nord Stream pour étrangler l’économie allemande. Aussi, le courage des Polonais et des Bulgares devrait rester sans suite. Dix compagnies gazières européennes ont d’ores et déjà ouvert des comptes en roubles chez Gazprombank pour assurer leur approvisionnement.

À court terme, ces intimidations ne rassurent pas les marchés et continuent de faire monter le prix du gaz. Le TTF de Rotterdam s’est ainsi enchéri de 15 % depuis le début de la semaine et se négociait autour de 110 euros. D’autant que la monnaie européenne continue de se déprécier par rapport au dollar (on est presque arrivé à la parité), ce qui renchérit mécaniquement le prix des hydrocarbures alignés sur le dollar. Tous les indicateurs économiques sont donc au rouge pour les Européens.

Pour se rassurer, certains considèrent que la stratégie poutinienne est suicidaire et qu’à moyen terme, il devrait la payer très cher. Le marché européen du gaz ne représente-t-il pas, pour lui, la poule aux œufs d’or ? Pas si sûr. D’ci cinq ans, le pipeline Altaï permettant au gaz russe de massivement transiter vers la Chine devrait être terminé. La Russie pourra alors se tourner vers le gigantesque marché chinois et ignorer des Européens qui auront tout perdu dans l’aventure.

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

69 commentaires

  1. Pourquoi Poutine ne coupe-t-il pas le gaz aux Allemands? Peut-être cela les inciterait-il à accepter le paiement en roubles, ce qui aurait l’immense avantage pour le reste du monde (EU exceptés) de mettre un terme à la situation de monopole du dollar dans les échanges internationaux. On peut imaginer que les Chinois se mettraient au diapason en exigeant le paiement de leurs produits exportés en yuans!

  2. Tous ces pays d Europe continuent a se tirer des balles dans le pieds et tout ça pour venir en aide a un pays qui a massacré 14000 russophones de 2014 a 2022 et qui en subit aujourd hui les terribles consequences. Au train ou l on va avec Biden et les fous furieux de Bruxelles on va bientot partir faire la guerre en Ukraine ! Mon soucis c est que j ai du mal a y voir la « bonne cause » et je n ai pas une goutte de sang russe dans les veines….

  3. On va nous apprendre à nous passer de tout. On appellera cela la décroissance, on se trouvera magnifiquement ecolos. On affichera notre bilan carbone sur notre CV, notre pare brise ou notre vélo. On se trouvera formidables. On ne se chauffera plus au sud de la Loire (comme les chinois au sud du Yang Tse). Bref, s’il nous manque quelque chose, la presse mainstream nous expliquera comment s’en passer! Nous sommes un peuple plein de ressources (LOL)

  4. On n’entend pas beaucoup nos braves écolos, si prompts à dénoncer nos voitures diesel, s’insurger contre la palanquée de méthaniers (voguant au fioul ou même au mazout, plus polluants que le gasoil) qui vont sillonner l’Atlantique en tous sens. Seraient-ils subventionner par une puissance étrangère ? et laquelle ?

  5. Hélas le congrès américain vient pratiquement de donner les pleins pouvoir à Biden pour continuer à dépenser des milliards de dollars du contribuable américain, (et ceux confisqués aux fonds russes !), pour continuer à armer massivement l’Ukraine.
    Lorsque le dernier Ukrainien aura laissé sa peau dans cette affaire, ce sera le tour des européens d’aller défendre les intérêts de l’Oncle Sam au péril de leur vie et de celle de nos enfants !

  6. J’aime beaucoup les courageux Polonais et Bulgares, votre « expert » en question énergétique n’ignore pas que les Polonais achète en réalité leur gaz à l’Allemagne, après que cette dernière l’ai payé aux Russes en rouble. La ruine et la chute de cette Europe gangréné par les combines, et autres mafieux comme Von Der Leyen, ne fait que commencer, il ne reste plus qu’à espérer que nous saurons retenir les erreurs pour ne pas recommencer, ce dont je doute hélas.

  7. Que l’Europe s’écroule, mais je sais nous le payerons cher, mais ce sera au prix du sacrifice que nous serons libérés, il faut donc souffrir pour sortir de là.

  8. Notre gouvernement qui prétendait ruiner l’économie russe réussit surtout, pour le moment, à ruiner l’économie française ! Poutine sachant qu’il allait provoquer une guerre, s’y était probablement préparé en prenant les mesures nécessaires à la survie du pays dont il a la charge. Ce qui n’est pas le cas de nos génies européens et les résultats de leur incompétence ne se sont pas fait attendre ! Cerise sur le gâteau : c’est Poutine qui coupe la livraison du gaz russe à 2 pays d’Europe !

  9. Nous sommes gérés par des idiots et en plus non élus comme miss Ursula qui se prend pour la reine de l’Europe ! Il fallait virer ces nuls mais le système a bien fonctionné. Nous allons pleurer bientôt je le crains. Heureux Anglais tiens !

    • Ils ont eu raison de se tirer du piège européen, mais par contre ils sont en train de se jeter dans les bras de l’Amérique et là, c’est une erreur.

  10. « Tous les indicateurs économiques sont donc au rouge pour les Européens. » dixit Philippe Charlez.
    Encore bravo à nos fins stratèges européens qui, comme le déclare fort justement Charles Gave, ne se tirent pas une balle dans le pied, mais dans la tête !
    Tout cela pour obéir à leur seigneur et maître américain qui ne pensent qu’à en tirer les marrons du feu et toujours prêt à se battre « jusqu’au dernier européen » (Charles Gave).

  11. Pour résumer, voyons si j’ai bien tout compris : les sanctions contre la Russie pénalisent les pays de l’Union Européenne, pas la Russie. J’ai tout bon ?

  12. Ceux qui se suicident dans cette affaire sont ceux qui ont le moins d’indépendance. Poutine saut ce qu’il faut, et un monde alternatif dédollarisé est en train de naître. Ce sont les Européens, plus exactement les dirigeants européens, qui ont choisi le suicide pour complaire aux intérêts américains

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