Hommage à Stanislas Butryn, l’un des derniers « paras Bruno » d’Indochine

Pendant que la population française, « brainwashée par les faits divers », selon la sinistre expression d’Emmanuel Macron, vient d’être à nouveau endeuillée par un meurtre à coups de couteau, nos héros du siècle passé nous quittent, comme des figures familières dont nous avions fini par oublier la grandeur. Ainsi de Stanislas Butryn, 89 ans, mort le 9 juin 2025.
Deux sauts sur Ðiện Biên Phủ
Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose. L’auteur de ces lignes ignorait son existence tout autant que vous, jusqu’à ce que la magie des réseaux sociaux fasse son œuvre – pour une fois bénéfique. Stanislas Butryn avait 18 ans, en 1952, et il était caporal-chef dans les troupes aéroportées. Pour être tout à fait précis, il était affecté au 6e bataillon de parachutistes coloniaux, commandé à l’époque par un certain Marcel Bigeard. À vingt ans, le voici adjudant-chef. Ceux qui se repaissent de clichés courtelinesques sur les sous-officiers ventripotents et alcooliques en seront pour leurs frais. Stanislas Butryn sautera sur Ðiện Biên Phủ, bien sûr. Pas une fois, mais deux : le 20 novembre 1953 puis, alors que la défaite menace déjà, le 15 mars 1954. Fait prisonnier par les Viets, il marche 800 kilomètres jusqu’à son camp d’internement, tandis que ses frères d’armes tombent à ses côtés, victimes de maladie ou terrassés par l’épuisement. Il survivra aux camps. C’est la vieillesse qui aura finalement eu raison de lui.
Portant son ami sur son dos, sous le feu de l'ennemi
Un fait d’armes extraordinaire n’a été connu qu’en 2014. Dans la nuit du 3 au 4 mai 1954, Stanislas Butryn, au cours d’une contre-attaque à Ðiện Biên Phủ, reconnut, à peine vivant, l’un de ses camarades, un certain Raymond Hautecouverture. Les Viets, le croyant mort, l’avaient dépouillé de sa plaque d’identité et abandonné sur place. Butryn obtint l’autorisation d’aller le récupérer. Portant son ami sur son dos, alors que l’ennemi lui tirait dessus, il parcourut plusieurs kilomètres jusqu’au poste de secours. Il n’en parla jamais. Il fallut exhumer les archives. Médaillé militaire à 21 ans, officier de la Légion d’honneur, officier dans l’ordre national du Mérite, cinq fois cité, Stanislas Butryn est mort dans l’indifférence générale. Rares sont, aujourd’hui, ceux qui savent ce qu’ils doivent à des soldats de cette trempe.
Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’Indochine : une poignée de documentaires, un superbe film de Schoendoerffer (et la musique de Delerue, Le Concerto de l’adieu, qui prend à la gorge), quelques anciens qui s’obstinent à survivre dans un monde qui ne les regarde même plus. C’est tout. Ah ! si, pardon : il y a cette visite du président de la République à Hanoï, entre deux « chamailleries » à la descente d’avion, cette visite indigne au cours de laquelle il alla rendre hommage à Hô Chi Minh. Au devoir de mémoire ont succédé l’indifférence puis le mépris, puis l’indignité.
Notre jeunesse
Peut-être BV sera-t-il l’un des rares médias français à parler de cette mort. Tant pis ! Individuelle, la mort d’un héros de cette envergure serait déjà une perte pour la nation. Son aspect symbolique lui donne une dimension plus grande, encore. Il y aurait sans doute encore, de nos jours, de jeunes gens de dix-huit ans prêts à s’engager, sans souci de la mort, pour défendre leur pays. Ce n’est pas le cœur de la jeunesse qui a changé : c’est le modèle dominant qu’on lui impose. Sans idéal et sans absolu, la force vitale de la jeunesse devient apathie pleine de rancœur, frénésie d’écrans ou rage de destruction stupide. Ce n’est pas entièrement de leur faute.
Honneur à Stanislas Butryn, honte à ceux qui n’en ont pas dit un mot et vive la France, c’est-à-dire, comme depuis deux mille ans, l’idée que nous nous en faisons.

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38 commentaires
Moi, il me reste un superbe etui à cigarettes en métal argenté sculpté/repoussé. Exhumé en 2018 en vidant la maison de maman, je m’en sers tous les jours. (papa : 51 -53 )
Très bel hommage pour un héros anonyme qui mérite amplement cet article. Merci à tous nos anciens qui ont sacrifié leur jeunesse et leur vie pour que dure la France.
Je me demande ce que pensait cet homme de ce qu’est devenu le pays pour lequel il s’est battu.