Guillaume Bernard : « L’exécutif est ébranlé, il n’y a plus de confiance »

Pour Boulevard Voltaire, Guillaume Bernard analyse la tourmente politique affrontée par le gouvernement, avec le mouvement des gilets jaunes. Il évoque également les issues possibles à cette crise.

On a l’impression que ça va être la guerre à Paris. Les lycéens commencent à se révolter. Des dizaines de milliers de forces de l’ordre seront mobilisées. Cette manifestation risque-t-elle de dégénérer ?

Il faut bien distinguer deux choses. D’un côté, il y a la manifestation des gilets jaunes, avec des personnes de la base, sensées et saines. Elles viennent pour revendiquer et voir la pression fiscale baisser, être écoutées. Elles veulent une démocratie réelle, soit par le référendum d’initiative populaire, soit par un contrôle réel des élus par le mandat impératif ou la possibilité de destituer des élus. Cela existe dans bon nombre de démocraties occidentales. Je pense, notamment, au recall aux États-Unis.
De l’autre, il y a les casseurs et les pilleurs. Ceux qui veulent utiliser la manifestation des gilets jaunes pour essayer de semer le chaos. C’est tout à fait différent. Le danger peut venir de certaines personnes qui viendraient se greffer ou profiter de la manifestation des gilets jaunes pour faire tout autre chose que revendiquer la baisse de la pression fiscale ou la revendication de la démocratie.
L’exécutif est en face de ses responsabilités. Je crois que l’exécutif essaye d’intimider les gilets jaunes pour essayer de les démobiliser. Il a créé les conditions de l’exaspération des gilets jaunes, mais ce ne sont pas eux qui sont un danger pour la République ou pour la nation.

Le gouvernement est venu, hier, rendre des comptes devant l’Assemblée et, aujourd’hui, devant le Sénat. On a l’impression qu’Édouard Philippe ne saurait même pas jouer le fusible, puisque sa démission qui a été avancée et évoquée ne résoudra en aucune façon la crise...

Non, parce que, dans le fond, c’est Emmanuel Macron qui est visé par les gilets jaunes. Ils demandent sa démission. Où Emmanuel Macron pourrait-il trouver des personnes susceptibles de constituer le nouveau gouvernement, en dehors de la majorité LREM à l’Assemblée nationale ? Cela ne changerait rien à la chose.
Je tiens, d’ailleurs, à préciser que les demandes de dissolution de l’Assemblée nationale ne me paraissent vraiment pas de bon aloi. Une dissolution conduirait à des élections législatives qui se feraient, de toute façon, selon le mode de scrutin majoritaire à deux tours, puisqu’il faut un laps de temps d’un an entre une éventuelle modification du scrutin et l’application de ce nouveau scrutin.

Il y a donc deux solutions possibles, soit il y a une cohabitation, soit il y a une absence de majorité. Dans les deux cas, Emmanuel Macron s’en retrouvera renforcé. Dans les deux cas, Emmanuel Macron sera susceptible de pouvoir apparaître comme le gardien des institutions s’il n’y a pas du tout de majorité ou, à l’inverse, s’il y a une cohabitation comme n’étant pas le sortant lors des élections présidentielles de 2022.
Je rappelle que Mitterrand, en 1988, et Jacques Chirac, en 2002, ont gagné l’élection présidentielle, parce qu’ils étaient Présidents sortants, mais considérés comme n’étant pas véritablement aux manettes. C’est la majorité parlementaire qui a été renvoyée.
Par conséquent, la demande de dissolution, qui n’est pas du tout venue de la base des gilets jaunes, mais des partis politiques qui essayent de reprendre la main alors que tout leur échappe, ne me paraît véritablement pas une bonne stratégie.

De quel grand mouvement historique se rapproche le plus ce mouvement, Mai 68, 6 février 34 ou Révolution française ?

Pour l’instant, on est plutôt dans la jacquerie, c’est-à-dire un mouvement qui vient de province, de la base, et qui se révolte contre à la fois le fonctionnement de la société et contre des élites considérées comme étant déconnectées du tissu social.
On est dans la jacquerie. On n’est pas encore dans les émeutes. Des émeutes pourraient peut-être venir, mais ce n’est pas encore le cas de la part des gilets jaunes. Encore une fois, ce que craint l’exécutif, aujourd’hui, ce sont les banlieues qui pourraient s’embraser et tenter de s’imposer, soit par le saccage, soit par la volonté de montrer sa force, pour obtenir plus de la part de l’exécutif. Pourquoi pas, par exemple, pour le financement public des mosquées. C’est un véritable risque politique à venir.
On n’est donc pas encore dans l’émeute, et pas encore dans la révolution, mais il est bien certain que le pouvoir est, aujourd’hui, extrêmement ébranlé. Il n’y a plus de relation de confiance.
Ce n’est donc ni une crise économique ni une crise sociale, mais une véritable crise du lien social, culturelle, identitaire, qui peut déboucher naturellement sur une crise institutionnelle. La situation est extrêmement chaude et doit être prise en considération.

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Guillaume Bernard
Politologue et maître de conférences (HDR) de l’ICES

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