Fox News paye 787,5 millions de dollars pour éviter un procès en diffamation

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L’addition est extrêmement salée, mais mieux vaut un mauvais accord qu’un long procès à l’issue incertaine et sous le feu continu des médias. Poursuivie en diffamation par la société Dominion Voting Systems, qui commercialise l’un des principaux logiciels utilisés par les machines à voter aux États-Unis, la chaîne Fox News, bête noire des progressistes et wokistes en tout genre, a finalement transigé et accepté de payer la somme stratosphérique de 787,5 millions de dollars.

La plainte initiale demandait 1,6 milliard de dollars de dommages et intérêts. Était reproché à la chaîne d’avoir nui à la réputation de Dominion en colportant de fausses accusations d’après lesquelles ses machines à voter avaient été volontairement truquées lors de la présidentielle de 2020 pour favoriser l’élection de Joe Biden. Ce que Donald Trump ne cessait de proclamer, dénonçant une « élection volée ».

Habituellement, de telles affaires aboutissent difficilement, dans la mesure où le plaignant doit prouver une intention malveillante et, donc, que les personnes visées savaient que ce qu’elles disaient n’était pas la vérité. Problème : Dominion est parvenue à obtenir une montagne de courriels et de SMS internes démontrant notamment que le propriétaire de la chaîne Rupert Murdoch et des présentateurs vedettes craignaient de perdre de l’audience s’ils remettaient en question la thèse trumpiste à l’antenne.

Dans un échange divulgué en date du 7 novembre 2020, l’animateur star Tucker Carlson déclare ainsi à son producteur, Alex Pfeiffer, que l’affirmation concernant la manipulation du logiciel est « absurde ». Son interlocuteur lui répondant, le lendemain : « Je ne pense pas qu'il y ait des preuves de fraude électorale qui ont fait basculer l'élection. »

Quelques jours plus tard, le 12 novembre 2020, le même Carlson demande la tête d’une journaliste de Fox Jacqui Heinrich qui, dans un tweet, a déclaré qu’il n’avait été trouvé aucune preuve de malversation. « Virez-la. Sérieusement, c’est quoi, ce bordel ? Cela nuit à l’entreprise. Le cours de l’action est en baisse. Ce n’est pas une blague », réagit Tucker Carlson.

Pas brillant. Résultat : face à l’avalanche de révélations compromettantes, la chaîne a préféré mettre un terme à la procédure et éviter ainsi de prolonger le feuilleton médiatique. La presse progressiste ne boude pas pour autant son plaisir. Après l’annonce de l’inculpation de Donald Trump au début du mois, obtenir désormais l’humiliation publique de Fox News, décrite comme son bras armé médiatique et le temple du complotisme, transforme ce mois d’avril 2023 en un temps de grâces et de bénédiction inespéré.

D’un bord à l’autre de l’Atlantique, nos parangons de vertu sonnent l’hallali et, du haut de leur magistère moral, font la leçon à ces odieux conservateurs pris la main dans le sac. En France, le correspondant du Monde à Washington écrivait déjà, le 28 février dernier, que cette affaire posait « encore une fois la question de la nature profonde de Fox News, loin des pratiques classiques en matière d’information, et de son influence dans la dérive de la droite américaine. »

Pour le New York Times, qui annonçait le « procès en diffamation du siècle », désormais, « tout le monde sait qui est Fox News ». Dans un article du 19 avril dernier, son spécialistes médias terminait néanmoins son réquisitoire sur une note d’espoir ouvrant la perspective d’un repentir salvateur : « Peut-être qu’en ce qui concerne la prochaine théorie du complot que son public voudra croire », Fox News sera, la prochaine fois, « plus responsable » ou « plus conscient des lignes à ne pas franchir ».

Il est vrai qu’en ce domaine, le New York Times bénéficie d’une vraie expertise. Avec le Washington Post, le quotidien de Big Apple a été lauréat du prix Pulitzer 2018 pour avoir, par son travail, « considérablement amélioré la compréhension de la nation concernant l'ingérence russe dans l'élection présidentielle de 2016 et ses liens avec la campagne de Trump ».

Il faut en effet reconnaître que cette histoire d’accointances poutiniennes a été une vraie démonstration de… comment dit Le Monde ? Ah oui, de « pratiques classiques en matière d’information ». Sans doute faut-il comprendre : impartialité, soin scrupuleux apporté à vérifier ses sources et refus du délit de faciès médiatique concernant Trump.

Le « Russiagate » constitue, en réalité, l’un des plus grands scandales politico-médiatiques de l’Histoire. À l’époque, une majorité des titres de presse s’est précipitée sur cette affaire, ne doutant pas un seul instant de la collusion russe de Donald Trump. À l’inverse, en 2020, médias et réseaux sociaux ont su faire preuve de la déontologie la plus exigeante concernant l’affaire de l’ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de Joe Biden. « La presse américaine avait traité ces documents avec une grande prudence », rappelait Le Monde, en décembre dernier, dans un article consacré aux « Twitter Files ». Il est vrai, comme le rappelle le quotidien, qu’on craignait encore à ce moment-là… « de possibles tentatives de manipulation russes » !

Quoi qu’il en soit des calamiteuses révélations concernant Fox News, un certain nombre de donneurs de leçons devraient donc commencer par balayer devant leur porte. Sachant, comme le révèle une récente étude sur la confiance dans les médias aux États-Unis publiée en février dernier, que seuls 26 % des Américains ont une opinion favorable des médias d’information et que 50 % d’entre eux pensent que la plupart des agences de presse nationales ont pour intention d'induire en erreur, de désinformer ou d’influencer le public.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Comment peut-on justifier 1.6 milliards de dollars de dommages et intérêts pour une prétendue diffamation ?
    Sur quoi repose ce chiffre?
    Comment peut-on devenir plus riche en faisant un procès qu’en plusieurs vies de travail ?
    Le système judiciaire US est complètement pourri.

  2. Et voilà. Les fake news prennent l’ascenseur et la justice les escaliers. Alors que depuis 2 ans Trump et ses complotistes continuent à affirmer que l’élection a été fraudée, voila un colporteur de ces mensonges bien obligé d’admettre qu’il mentait. Ça fait très cher le mensonge pour Fox News. Mais il s’en trouve en France aussi…

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