[EXPO] À Chantilly, le raffinement des « Très Riches Heures du duc de Berry »

Enluminé par les frères de Limbourg, le manuscrit est un joyau dont le château de Chantilly est l'écrin.
© R-G Ojéda/RMN
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Jusqu’au 5 octobre 2025, le musée de Chantilly expose l’essentiel d’un des chefs-d’œuvre de l’art français : les Très Riches Heures du duc de Berry, sommet de l’enluminure du XVe siècle.

Ce manuscrit décoré de quelque 130 peintures est une commande faite par le duc Jean de Berry (1340-1416), fils du roi de France Jean II, à trois peintres originaires de Nimègue, les frères de Limbourg. Ils commencent l’ouvrage en 1411. Mais ils meurent en 1416, tout comme leur mécène. Bien avancé, l’ouvrage n’est pas achevé. Au gré des héritages, le livre passe de main en main et d’autres y travaillent. Ainsi de Barthélemy d’Eyck, peintre du Roi René, duc d'Anjou, dans les années 1440. Et, à la fin du siècle, Jean Colombe, qui le complète dans un style moins délié mais sans démériter. Ainsi s’est constitué ce livre peint qu’on surnomme parfois, dans un langage journalistique facile, « la Joconde des manuscrits ». Compositions claires, couleurs lumineuses, mêlant harmonieusement l’idéal et le réel, les peintures qui l’illustrent sont une leçon artistique qui reste d’actualité, six siècles plus tard.

Le mois de janvier. © R-G Ojéda/RMN

Ce qui fait la célébrité de ce livre d’heures, autrement dit de prières, est d’abord une série de peintures profanes : le calendrier. Le mois de janvier nous introduit dans un banquet chez le duc de Berry. La richesse des costumes, la somptuosité de la table où officient échansons et officiers tranchants sont un aspect de l’idéal aristocratique du temps, sur fond de guerre de Troie, sujet de la tenture à l’arrière-plan. Avec le paysage enneigé du mois de février, nous passons brutalement de la luxueuse salle de réception bien chauffée au froid des campagnes. Sous un ciel plombé, un paysan se hâte avec son âne. Dans la ferme, des paysans et une noble femme « font chapelle », vêtements relevés pour se réchauffer les cuisses au coin du feu.

Chacun des autres mois se présente avec une scène en lien avec la saison. Voici le château de Lusignan, un des châteaux appartenant au duc de Berry et au-dessus duquel vole Mélusine sous forme d’un dragon d’or — et les travaux hivernaux des champs. Voici les toits du palais de la Cité à Paris et l’aristocratique « fête du vert » du 1er mai. Voici le château de Saumur (qui appartenait au neveu du duc) et les vendanges du bon vin d’Anjou : nous sommes en septembre.

Chaque mois est surmonté d’une demi-lune avec char du Soleil et signes astrologiques. Cela renvoie à une autre planche du livre, dite L’Homme anatomique ou L’Homme Zodiaque : un thème sans équivalent dans l’iconographie des manuscrits. Elle associe l’influence d’un signe à une partie du corps, en lien avec les humeurs qui expliquent le tempérament, mais en lien aussi avec les points cardinaux. Cette peinture fait partie de celles qui sont exposées de façon tournante. Le 17 juin, elle laissera la place au Paradis et à l’Annonciation. Se succéderont ensuite Les Rois mages, La Chute des Anges, des scènes de la Passion…

L'homme Zodiaque © R-G Ojéda/RMN

Bien qu’exceptionnelles, les Très Riches Heures n’existent pas seules. L’exposition rassemble diverses œuvres pas moins remarquables. Parmi elles, le Psautier de Jean de Berry (vers 1386), les Petites Heures du duc de Berry et — première commande du duc aux frères de Limbourg — les Belles Heures du duc de Berry, déjà un chef-d'œuvre, qui donnera envie au duc de leur commander l’ouvrage suivant. Lequel devait dépasser, dans son idée, Les Grandes Heures du duc de Berry, peintes par d’autres et, déjà, éblouissantes. Quelle époque !

Ce fut pourtant une époque troublée. En 1411, le peuple de Paris saccage l’hôtel de Nesles qui appartient au duc, puis incendie son château de Bicêtre : n’est-il pas le chef des Armagnacs ? Le duc de Berry est assiégé dans Bourges par les Bourguignons. Vient le désastre d’Azincourt, où son petit-fils Charles d’Orléans est fait prisonnier. Mais cela n’entame pas l’humeur mécénale et bibliophile du duc, loin de là. Pas de « politique culturelle » réduite sur fond de « restrictions budgétaires » liées à un « contexte incertain ». Une autre époque que la nôtre, et une autre mentalité. Pour cette exposition, sont venus de la cathédrale de Bourges le gisant du duc, les pieds posés sur un ours endormi, et un des pleurants qui le portaient. Il y avait de quoi pleurer un tel homme qui fit tant pour l'art !

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Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

9 commentaires

  1. N’oublions pas le duc d’Aumale, qui a offert à la France ses collections, châteaux… Sans lui les T.R.H. seraient aux Amériques, dispersées entre de multiples « fondations » : le manusrit avait été dépecé, et il a fallu patiemment récupérer les images pièce à pièce. La chasse, du reste, n’est pas encore terminée semble-t-il

  2. Toutes les médailles ont deux faces; ces « richesses » tant admirées ont été réalisées avec l’argent du peuple, bien rançonné par la noblesse. La pauvreté populaire médiévale est une réalité. Les prélèvements perdurent jusqu’à maintenant d’ailleurs. …

    • Vous pouvez nous parler de la « pauvreté médiévale » ? Sur des bases matérielles ou morales ? On n’a jamais autant ri qu’au Moyen Age. Et on avait le temps : entre les fêtes d’obligation, patronales, frairiennes, etc., il y avait entre 100 et 150 jours chômés par an. La population était malheureuse car il y avait les maladies (la Peste noire a emporté 40 % de la population européenne, par villages entiers !), les intempéries contre lesquelles il n’y avait pas d’assurance, la dureté climatique, mais arrêtons avec le bon peuple rançonné : bien sûr il y a eu des seigneurs cupides, des abbés abusifs, mais les travaux des historiens établissent que les impôts pesaient moins sur les populations alors qu’aujourd’hui. C’est à partir de la Révolution que les Français sont devenus des vaches à lait : il fallait subventionner les conquêtes révolutionnaires, puis impériales, et à la conscription il a fallu ajouter les écus, même rebaptisés francs.

  3. Un grand homme, un grand mécène, parfois des heures sombres mais l’époque était ainsi. Je recommande de lire sa biographie très riche en rebondissements de cette homme de pouvoir qui nous a laissé une preuve marquante de notre histoire. L’histoire est je pense la matière la plus importante puisqu’elle regroupe tous les savoirs humain mais faut il encore que les gens en aient conscience!

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