Jean-Pierre Maugendre est président de Renaissance catholique. Le samedi 24 septembre prochain, il organise à la Maison de la chimie à Paris un colloque intitulé « Quel avenir pour la Messe traditionnelle ? »

Gabrielle Cluzel : Il ne vous aura pas échappé que Boulevard Voltaire n'est pas un site confessionnel… À l'heure de la « fin de la chrétienté », pour reprendre le titre du dernier essai de Chantal Delsol, ces querelles liturgiques ne risquent-elles pas de passer pour picrocholines aux yeux des Français ? En quoi les concernent-elles ? 

Jean-Pierre Maugendre : Il n’aura pas échappé aux Français qui aiment la France que la civilisation française est aujourd’hui menacée de disparaître. La crise est, aujourd’hui, économique, sociale, démographique, politique, intellectuelle et spirituelle. Or, notre civilisation est l’héritière du triptyque Athènes, Rome, Jérusalem. Personne ne contestera que le christianisme a marqué en profondeur nos us et coutumes comme les paysages urbains et ruraux de notre pays. Toutes les visites touristiques de nos récentes vacances en témoignent, de Rocamadour au mont Saint-Michel. Logiquement, tout ce qui affecte l’Église a des conséquences immédiates sur une société avec laquelle elle a tissé depuis très longtemps (baptême de Clovis en 496) des liens très forts (séparation de l’Église et de l’État en 1905). Il est certain que l’Église n’a plus dans la société française l’influence qu’elle a eue. Il est non moins certain que l’Église continue de jouer un rôle comme autorité morale et comme marqueur social d’encore beaucoup de Français à certaines étapes de leur vie : mariage, décès, etc.

Dans son autobiographie Une vie, Simone Veil témoigne de l’attitude des évêques de France à propos de l’avortement : « Je n’ai pas rencontré de difficultés insurmontables avec les autorités religieuses. » En bon français : les évêques de France ne se sont pas opposés à la dépénalisation de l’avortement et d’ailleurs, note l’ancien ministre, s’ils s’y étaient opposés la loi n’aurait pu être votée. Si l’on pense que l’identité de la France lui est arrachée au moyen d’une tenaille dont les deux mâchoires sont le mondialisme hédoniste et l’islam militant, la défense de cette identité ne peut faire l’impasse sur ce que la France doit à l’Église, à son enseignement, à sa discipline, à sa liturgie. Quand une église accueille en son sein des prières musulmanes, c’est l’identité de la France qui est en péril. Quand les évêques de France appellent à l’accueil inconditionnel des migrants, c’est encore l’identité de la France qui est menacée. Quand la suspension du culte public, sous couvert de lutte contre la pandémie de Covid-19, n’entraîne aucune protestation épiscopale, c’est une liberté élémentaire - celle de rendre à Dieu le culte public qui lui est dû - qui est bafouée.

Sous cet aspect, chaque Français amoureux de la France est concerné par la situation de l’Église. Il n’est pas indifférent pour l’avenir de notre pays que la loi naturelle soit défendue ou non, que les églises soient pleines ou vides, que les prêtres prêchent les réalités surnaturelles ou se muent en travailleurs sociaux, etc. La France est un trop vieux pays chrétien pour que le sort de l’Église n’ait pas d’impact sur le sien propre. De plus, comme le notait René Grousset dans son précieux ouvrage Bilan de l’histoire : « En général, aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur qu’il ne se soit au préalable suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leurs raisons d’être, quand l’idée dominante autour de laquelle elles étaient naguère organisées leur est devenue comme étrangère. »

 

G. C. : En toile de fond de ce colloque, bien évidemment, le motu proprio Traditionis custodes du pape François... Est-il spécialement grave pour « tradiland » ou celui-ci, finalement, en a-t-il vu bien d'autres ? 

J.-P. M. : Ce motu proprio est effectivement très contrariant. Cependant, la situation pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de l’Église me paraît bien meilleure qu’il y a cinquante ans. À partir de 1969, la réforme liturgique a été imposée par surprise et avec une très grande brutalité. Beaucoup se sont soumis, par respect de l’autorité et dans l’attente des fruits attendus de « la nouvelle Pentecôte de l’Église ». Aujourd’hui, le constat est sans appel. La réforme liturgique a vidé les églises et, Guillaume Cuchet l’a démontré, les familles qui ont le mieux transmis la foi sont celles qui ont le moins adhéré aux réformes. La résistance significative au motu proprio Traditionis custodes de la part de certains laïcs, évêques et cardinaux est sans commune mesure avec l’acceptation générale des réformes, en 1969, mis à part le Bref examen critique du nouvel Ordo missae des cardinaux Ottaviani et Bacci et l’action de Mgr Lefebvre.

 

G. C. : À l'instar de Patrick Buisson, pensez-vous que « c'était mieux avant » ? Et dans ce cas, pourquoi un si bel édifice, si ancien et si solide, s'est-il si vite effondré ? Peut-on se contenter de dire que c'est « la faute à Vatican II » ? 

Qui oserait vous répondre en affirmant « C’est mieux aujourd’hui » ? Je ne crois pas que ce bel et ancien édifice se soit si vite effondré. Depuis la « fin de la chrétienté » qui correspond, en fait, à la Réforme protestante, l’Église évolue dans un monde où son rôle de Mater et magistra, mère et maîtresse de vérité, lui est dénié. Elle détenait la Vérité sur Dieu et sur l’homme et elle la transmettait aux peuples. Depuis la Réforme et la Révolution française, les paradigmes ont été inversés. La vérité ne vient plus d’en haut. Il n’existe plus d’ordre naturel des choses ni de « lois non écrites, immuables voulues par les dieux » (Antigone). S’impose alors ce que Benoît XVI avait appelé « la dictature du relativisme ». L’homme, d’abord, interprète, seul, sans l’Église, l’Écriture puis décide, seul, de ce qui est bien et de ce qui est mal. Enfin, il choisit lui-même ce qu’il veut être : homme ou femme. La pente logique est inéluctable. N’est-ce pas Bossuet qui observait « Dieu se rit des hommes qui déplorent les maux dont ils chérissent les causes » ?

Dans un ouvrage remarquable, L’Église occupée, Jacques Ploncard d’Assac a analysé comment l’Église peu à peu, depuis la Réforme, s’est ralliée aux valeurs d’un monde dont les principes fondateurs étaient en opposition radicale avec ses propres règles et fondements. Les termites mettent des années à ronger la charpente qui s’effondre en un instant. Si l’effondrement peut être très rapide, le travail de sape antérieur, lui, remonte loin dans le temps. Concernant Vatican II, ce concile « pastoral » s’inscrit dans le mouvement plus ancien décrit ci-dessus. Il formalise la volonté de l’Église de ne plus condamner le monde et ses valeurs mais de se rallier à lui afin de le convertir. Le Christ lui-même nous l’enseigne : « Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits pas plus qu’un mauvais arbre n’en peut porter de bons. Tout arbre qui ne donne pas de bons fruits est coupé et jeté au feu » (Mat VII, 18). À chacun de juger et d’en tirer les conséquences… Je conclurai, citant Dom Gérard, fondateur de l’abbaye bénédictine du Barroux et auteur du livre Demain la chrétienté, à l’arrivée du pèlerinage de Pentecôte à Chartres en 1985 : « Très sainte Vierge, rendez à ce peuple sa vocation de soldat, de laboureur, de poète, de héros et de saint. Rendez-nous l’âme de la France. »

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10 septembre 2022 à 11:45

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21 commentaires

  1. Ce n’est ni évident ni inéluctable. Il y a des gens très instruits et éveillés et qui sont comme on dit « croyants »
    Teilhard de Chardin par exemple ou même des chrétiens plus « orthodoxe ».
    Notre jeunesse paraît moins « croyante  » qu il y a 100 ans, et même 25 ans, et pourtant je ne suis pas certain que la dernière génération soit plus instruite et éveillée.
    Il y a des idiots croyants et des idiots non croyants. Des intelligents croyants et des intelligents non croyants.

  2. La conservation de l’héritage moral et culturel du judéo-christianisme est à distinguer de la croyance religieuse. Plus les gens sont instruits et éveillés, moins ils sont croyants, c’est évident et inéluctable.

    1. Ce n’est ni évident ni inéluctable. Il y a des gens très instruits et éveillés et qui sont comme on dit « croyants »
      Teilhard de Chardin par exemple ou même des chrétiens plus « orthodoxe ».
      Notre jeunesse paraît moins « croyante  » qu il y a 100 ans, et même 25 ans, et pourtant je ne suis pas certain que la dernière génération soit plus instruite et éveillée.
      Il y a des idiots croyants et des idiots non croyants. Des intelligents croyants et des intelligents non croyants.

  3. Il me semble que celles et ceux qui sont en quête de sacré dans leur existence sont laissés à la porte de l’Eglise,le pape et nombre d’évêques posent le même regard sur la société contemporaine que leurs prédécesseurs des années 60 .
    Non seulement leur conception de la société est totalement dépassée,mais pis encore ils l’imposent aux fidèles,ainsi qu’aux nombreuses personnes en quête de spiritualité,le pape actuel a toujours considéré les fidèles traditionalistes comme de vieux nostalgiques,alors que de toute évidence lui-même et ses amis sont les nostalgiques d’une Eglise qui se remettait sans cesse en question .
    C’était l’Eglise de l’Action Catholique qui refaisait le monde autour d’une table,la main toujours tendue vers les mouvements politiques et syndicalistes de gauche,alors que le Saint-Sacrement demeurait enfermé au tabernacle dans des églises vides,c’était l’Eglise de mon adolescence!

  4. La réforme liturgique a aussi eu l’effet de séparer les peuples car comment voulez- vous suivre une messe dans un pays étranger dont vous ne connaissez pas la langue ? Alors que la messe en latin nous donnait une langue commune. Encore un exemple que de satisfaire aux faibles d’esprit a tout l’effet contraire.

  5. Excellent résumé de la situation de l’église dans le contexte de notre société. Et les ravages de Vatican II qui ne veut plus condamner mais rallier à lui les âmes égarées pour les convertir . Sauf que cela ne marche en terme de fréquentation des églises , c’est le contraire qui arrive . Ce sont les relativistes qui désormais investissent les églises et se permettent même de s’inviter au débat entre traditionnalistes et Vatican II . Ils seraient bien avisés d’en faire de même avec l’Islam !J’ai beaucoup aimé la citation en conclusion à laquelle j’adhère totalement . Mais Il est symptomatiques que parmi toute la classe politique ce soit un petit berbère juif qui s’attelle à la tâche !

  6. Je ne suis pas catholique romain peu s’en faut mais je suis chrétien pas la grâce que Dieu a bien voulu me faire et me donner mais en effet il faut reconnaitre que le sacré ayant disparu tout disparait !!! Dommage mais comme dit le Christ Jésus dans l’évangile de Luc 18.8b – Mais, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

  7. Sans doute une des raisons qui incite l’occident décadent à « tuer » V.Poutine qui a été intronisé en tant que « chef du monde chrétien et empereur araméen » Le 28 mai 2016 à la cathédrale de l’Assomption à Karyès
    V Poutine qui a déclaré : « Sur le saint mont Athos, un acte très important et très nécessaire pour notre monde se déroule, cet acte est la correction morale de notre monde. Il est accompli précisément sur l’Athos. »

    Chasse à la chrétienté par nos zélites occidentales qui sont tous OK avec l’avortement, l’euthanasie, la perte de sens, de leurs peuples.

    Il est vrai qu’il est plus facile de chasser le catholique que l’orthodoxe, étant donné l’état de mort cérébrale de cette secte (au sens noble du terme, je tiens à le préciser) catholique et de son chef actuel.

  8. L’Histoire, le passé de la France, est tellement chrétien que les monuments qui s’y rapportent sont source du tourisme universel au même titre que ceux de la royauté . Il y a bien la Tour-Effel pour modérer mon jugement trop tranché mais ce que nous avons à offrir d’architecture au monde tient au passé pré révolutionnaire ou impérial .

  9. Comme chacun le sait Vatican II a remplit les stades et vidé les Eglises. Quelle tristesse que cette messe conciliaire où le sacré a disparu.

    1. A mon sens, vous mettez le doigt sur le problème avec ce seul mot : sacré… Nous perdons le sens du sacré, celui qui fait de l’homme physiologique un être humain doté d’une âme, à savoir relié à quelque chose qui le dépasse, et le force parfois à se dépasser…

      1. Oui, ce qui dépasse l’homme, c’est l’humanité, car aucun homo sapiens ne devient humain sans les autres, par le langage, et la transcendance de l’humain, amenée par Jésus, le dieu fait homme, a sacralisé la personne humaine, qui n’a rien à voir avec la croyance en un dieu.

  10. Comme vous l’évoquez si bien dans les exemples que vous avez pris, prières musulmanes et accueil de migrants dans des lieux de culte chrétien, une grande partie de la hiérarchie catholique a choisi la voie suicidaire, succombant aux sirènes de l’oeucuménisme et des idéologies droits-de-l’hommiste. A l’occasion du décès de la reine Elizabeth et de la mise en évidence du prestige incontestable dont jouissait cette dame, qui n’a jamais cédé aux modes et aux courants de pensée, qui vont, viennent et finissent par s’estomper, nos évêques et curés devraient réfléchir. Les monarchies et les religions sont de vieilles institutions qui ne conserveront leur crédibilité qu’en gardant le cap. Convoquer les Etats Généraux ou tendre la main à des courants de pensée malodorants fait fuir les derniers fidèles …

    1. On écrit et on prononce « oecuménisme » soit « écuménisme », comme oesophage = ésophage », « oedème »= édème. Excusez ce pédantisme. Entièrement solidaire avec votre intervention !

  11. Bravo et bon courage , il ne faut certainement pas compter sur l’aide de François ,il y a encore peu de temps j’aurai écrit Sa Sainteté le Pape François , il fait la même chose que notre président , il participe à la disparition de l’Eglise comme le roitelet détruit la France ,il n’y a pas de différence ,la disparition de l’une et l’autre évolue au même rythme . A noter que sur l’avortement ce même François avait bien déclaré : ce n’est pas une question de religion ,c’est une question d’Homme ,(pas sûr de la majuscule) . En parallèle , la grande majorité des ecclésiastiques est comme nos personnages politiques : sans courage , sans conviction apparente voire solide (p’tête ben que oui ,p’tête ben non ) et les rares qui osent sont mis à l’index par leurs propres pairs …! Enfin , pape et roitelet sont progressistes mondialistes ,très certainement franc maçons ,l’un vend les biens de l’Eglise par besoin et démagogie ,l’autre multiplie les impôts tout en exprimant le contraire ,enfin peut-être que pour finir de détruire l’Eglise , François va instaurer un paiement pour rentrer à l’église ou assister participer à un office .

    1. Quelle tristesse intense de voir l’Église courir désormais après le Siècle . L’éviction de Benoit XVI en témoigne.

  12. Il y a encore des racines, il faut les cultiver. Je me souviens , quelques années auparavant, avoir accompagné ma mère en pèlerinage à San-Damiano dans un autocar normal. Ils refusaient des couchettes, et lors de ce long trajet, de nombreux arrête pipi, j’ai encore en mémoire cet aumônier (ancien para) en soutane. De ces arrêts, je me rappelle les groupes de personnes qui venaient de faire bénir par ce prêtre. La cassure a été faite dès l’instant où l’on a retourné l’autel face aux fidèles. Le fait de faire une messe sans rituel a cassé beaucoup de choses. Et, le franc-maçon actuel n’arrange pas les choses, il suffit de voir son attaque sur l’Opus Deï.

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