Cinéma : Tár, une dénonciation du politiquement correct à l’assaut de la philharmonie

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Lydia Tár a décidément tout pour être en phase avec son époque. Lesbienne, indépendante, charismatique et autoritaire, elle dirige en Allemagne un grand orchestre symphonique et multiplie les projets, notamment la préparation d’un concerto de Mahler et le lancement d’un livre biographique très attendu retraçant l’ensemble de sa carrière. Pourtant, cette femme qui ne vit que pour la musique et s’est élevée socialement en sacrifiant tout à ses rêves va subir, en quelques semaines, une campagne de dénigrement médiatique d’une rare violence et voir ses soutiens l’abandonner les uns après les autres sous le poids du politiquement correct.

Car si la chef d’orchestre répond favorablement aux critères de la modernité, ses origines populaires et sa formation classique l’empêchent d’adhérer aux discours woke de ses élèves : des milléniaux « pansexuels », « pangenres » (et autres originalités…) qui refusent d’accorder le moindre intérêt à des compositeurs allemands ou austro-hongrois du XVIIIe siècle sous prétexte qu’ils sont blancs, masculins et « cisgenres ». Exit, alors, Jean-Sébastien Bach ou autres Beethoven, et place aux compositrices postmodernes scandinaves et, si possible, versées dans la musique atonale et déconstruite…

Avec Tár, le réalisateur Todd Field pointe avec inquiétude le décalage entre une génération qui, tout en questionnant les normes traditionnelles, respectait encore l’héritage de ses aînés et une nouvelle génération pour laquelle seuls les réseaux sociaux font office de boussole et indiquent la marche du monde, aussi impitoyable soit-elle.

Imperméable aux lubies de son temps, peu portée aux discours victimaires (féministes ou autre), Lydia Tár, naturellement, ne voit pas venir le procès médiatique dont elle fera l’objet concernant le suicide d’une jeune collaboratrice avec laquelle elle entretenait, semble-t-il, une relation ambiguë. Ce suicide, la chef d’orchestre en serait en partie responsable dans la mesure où elle mit un frein brutal à ses évolutions de carrière après avoir été harcelée de sollicitations…

Ramenée alors à un énième « BalanceTonPorc » ou à un « #Meetoo », l’affaire Lydia Tár – très banale dans son schéma du professeur qui brouille constamment les frontières avec ses élèves, qui voit la situation échapper à son contrôle puis abuse de son pouvoir pour se rattraper – prendra des proportions démesurées, injustes pour l’accusée, et s’achèvera avec ironie dans le Prozac™ et la déchéance, avec une fin de carrière des plus cruelles.

Difficile d’accès, tant sont nombreuses les conversations relatives au milieu de la philharmonie et à la musique classique, trop esthète (chichiteux ?) et excessivement long, Tár bénéficie néanmoins d’une mise en scène remarquable, Todd Field montrant un talent certain dans la composition des cadres – cliniques au possible – et dans le travail sonore. Plus investie que jamais, à en croire les déclarations du cinéaste, Cate Blanchett incarne à merveille cette chef d’orchestre insubmersible et jusqu’au-boutiste, porte sur ses épaules un film écrit spécialement pour elle et s’impose comme une actrice majeure de sa génération. Souvent encline à choisir les bons projets, à se mettre en danger et à travailler à fond sa partition, elle tient peut-être ici le plus grand rôle de sa carrière.

Notons que le film, suffisamment dense et foisonnant, se prête à plusieurs visionnages.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Petit détails pour l’auteur de cet article. Les oeuvres concernées sont la 5° symphonie de Mahler et le concerto pour violoncelle d’Elgar, que joue aussi ma petite-fille !

  2. c’est dommage que le film soit trop long car pour le reste on adhère complètement à l’histoire. Les deux premières scènes illustrent parfaitement mes propos. Elles sont capitales puisque c’est d’elle que tout part, mais 10 minutes de moins à chacune aurait été bénéfique. C’est tout l’art du montage est de savoir couper et de supprimer une partie de la scène quand celle ci est inutile et alourdie l’histoire. Un bon film raconte une histoire en 1H30 voir 2H maximum, au delà il y a obligatoirement des longueurs. Parfois il ne s’agit que de quelques secondes mais quelques secondes , plus quelques secondes en moins un peu plus tard, on peut obtenir un chef d’oeuvre ! Ce n’est pas le cas. Par contre je voterais volontiers pour l’oscar de la meilleure actrice à k. Blanchett

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