Cinéma : la sombre destinée de l’épouse du célèbre Tchaïkovski

« On préfère les monuments aux êtres humains dans mon pays. » Par ces mots récents adressés en entretien aux journalistes du Monde, le cinéaste Kirill Serebrennikov, exilé à Berlin depuis ses déboires judiciaires en Russie, signifiait la difficulté de produire dans son pays un film à la fois biographique et critique sur une personnalité majeure de la culture nationale. Piotr Ilitch Tchaïkovski, poursuivait-il, « peut nourrir non pas un mais dix films. Le mien n’offre qu’un angle de vision, celui de ses rapports tourmentés avec sa femme en raison de son homosexualité ». Une approche un peu curieuse, disons-le, qui tend à faire l’impasse sur le travail musical et la carrière du célèbre compositeur – seule chose, d’après nous, qui vaille réellement la peine d’être racontée…
C’est donc manifestement dans l’optique – toute moderne – de « déconstruire un monument », de le rendre plus « humain », que Serebrennikov aborda son tournage de La Femme de Tchaïkovski, sorti sur nos écrans le 15 février dernier. Pour un résultat en demi-teinte.
Librement inspiré de la biographie du compositeur écrite par Alexander Poznansky et de l’ouvrage de Valeri Sokolov consacré à Antonina Miliukova, le récit nous raconte le destin tragique de cette femme issue de la petite noblesse russe qui jeta son dévolu sur Tchaïkovski, lui écrivit d’abord des lettres enflammées, puis parvint non sans difficulté à le convaincre de l’épouser, avant de connaître aussitôt après le rejet… En effet, ce qui au départ ne devait être pour le compositeur qu’un mariage financier, lui permettant au passage de dissimuler son homosexualité, se révéla pour Tchaïkovski un véritable calvaire. Entré en dépression, il prétexta un voyage à Moscou afin de s’éloigner définitivement de son épouse – certains historiens avancent même l’hypothèse d’une tentative de suicide dans les eaux gelées de la Moskova (!).
Rapidement, Antonina Miliukova, incarnée à l’écran par Alyona Mikhaïlova, eut pour seuls interlocuteurs les frères et avocats du compositeur, incapables de la moindre empathie à son égard, arguant des explications fallacieuses et la laissant mariner dans ses questionnements avec, pour seule consolation, de maigres subsides…
Récit cruel d’une femme aux abois qui, en l’absence de réponses, ne peut objectivement aller de l’avant, se refuse pour des raisons morales et religieuses à condamner son époux, s’accroche à l’espoir qu’il revienne un jour et s’enfonce peu à peu dans la folie, La Femme de Tchaïkovski est un film lourd et éprouvant à suivre pour le spectateur. Portée par une mise en scène aussi inspirée que cafardeuse, cette œuvre très maîtrisée de Kirill Serebrennikov a pour elle l’intérêt historique mais se limite d’emblée à un récit aussi anecdotique que le fut ce mariage dans la vie du compositeur… Trop anecdotique, en tout cas, pour mériter un traitement de 2 h 23…
Notons, pour finir, que le choix de faire incarner le grand Tchaïkovski, fierté du peuple russe, par un acteur américain (Odin Lund Biron) ne sera pas de nature à contenter les compatriotes du cinéaste. D’aucuns y verraient même une forme de provocation de la part d’un homme qui est déjà dans le collimateur des autorités.
2 étoiles sur 5
Thématiques :
TchaïkovskiVos commentaires
Le système de gestion des commentaires est en cours de maintenance.
Pour ne rien rater
Les plus lus du jour
LES PLUS LUS DU JOUR

BVoltaire.fr vous offre la possibilité de réagir à ses articles (excepté les brèves) sur une période de 5 jours. Toutefois, nous vous demandons de respecter certaines règles :