Parmi les entourloupes sémantiques courues en ces temps politiquement corrects, celle de la « division » : quiconque abonde à contresens « divise » (corollaire, atteinte à « l’unité »). Je pense, ici, à Alain Finkielkraut évoquant la démocratie (de mémoire, je restitue ici le fond plus que la forme), à savoir qu’il ne s’agit nullement, pour lui, du sucre d'orge Bisounours qu’on nous sert à coups d’océans de bougies, mais d'une chose à bien des égards pénible, voire indigeste : le dialogue entre des pensées, des opinions ou des idées parfois fondamentalement opposées. De ce point de vue, l’accusation de « division » tend à clore le débat.

J’oserai un raccourci : elle me rappelle furieusement celle d’islamophobie, de xénophobie ou de racisme. Le sel démocratique, c'est d’abord des différences. Attentat au Sri Lanka, autour de 310 morts et des centaines de blessés : « Face à l’horreur des attaques au Sri Lanka, les personnalités politiques du monde entier ont réagi, dénonçant la “barbarie” d’une agression contre toute l’humanité » et appelant à « rester unis […] lorsque la terreur tente de diviser » (Le Figaro). « Diviser« » serait donc nommer le mal ? En l’occurrence, un islamo-fachisme ciblant des chrétiens.

Autre exemple encore tout chaud. Ghaleb Bencheikh, connu pour son émission religieuse du dimanche matin (France 2) et qui s’est fendu d’une tribune après le drame de Notre-Dame, (Journal du dimanche en ligne) dans le cadre de la Fondation de l’islam de France dont il est le président : « […] Dans la reconstruction de Notre-Dame, il y a comme une allégorie de guérison d’une nation résiliente. C’est le moment de l’immuniser contre les germes de la division […] » Attentat islamiste au Sri Lanka ou cathédrale en feu à Paris, le seul vrai danger est donc la « division »… Cela rappelle furieusement cette chanson anti-populo-fasciste très en vogue.

Le même Bencheikh avait affirmé, courant 2015, lors d’un colloque à l’Académie de géopolitique de Paris, « Laïcité et islams, qu’est-ce que l’islamophobe ? » : « L’islamophobie serait une peur irraisonnée, pathologique, maladive de l’islam. Et quelqu’un […] qui est malade, on ne peut que compatir à son état, et essayer de faire en sorte qu’il guérisse de sa maladie […] Maintenant, je distingue l’islamophobe de la misislamie […] On dit misislamique comme on est misanthrope, c’est-à dire […] une hostilité revendiquée à l’encontre de tout ce qui est islamique et musulman. Et cette misilslamie est condamnable, et elle doit tomber sous le coup de la loi. » Malades ou hors la loi : Charlie Hebdo était-il malade ou hors la loi ? Cette façon doucereuse d’avancer m’exècre. Je n’aime pas le message de l’islam, il ne me dit rien qui vaille, et je le dis parce que je me considère encore dans une démocratie où des millions de citoyens peuvent ouvertement clamer qu’ils n’aiment pas le christianisme. Œuvre de « division » ? Qu’il en soit ainsi !

L’existence de partis aussi différents en France que LR, En Marche !, RN, La France insoumise ou Debout la France serait donc un complot contre « l’unité » du pays ? Ceci donne raison aux Mao, Staline et Hitler : une vraie « unité » ne peut se concevoir que dans le cadre du parti unique. Non, je plaisantais, je voulais dire « parti inique » : vive la multiplication, l’addition, la soustraction et, surtout, longue vie à la démocratie, c’est-à dire à la « division ». N’en déplaise aux darwiniens de l'étouffante « unité ».

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23 avril 2019 à 19:45

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