Ennio Morricone vient de nous quitter, laissant une œuvre unique de par sa production imposante – près de cinq cents bandes sonores originales de films, sans négliger d’autres pièces destinées aux seuls concerts, ce n’est pas rien –, mais l’homme n’était-il pas aussi unique par la diversité des genres abordés ?

Ce qui m’impressionne le plus, chez Morricone, c’est la façon dont il a su s’extirper d’un bagage académique qui condamne parfois les meilleurs élèves aux pastiches scolaires. Il y a, chez lui, ce mélange rare de technique, d’intelligence des situations et de sensibilité qu’on retrouve chez tous les grands compositeurs de cinéma, depuis Korngold jusqu’à la génération dont il était, avec John Williams et Lalo Schifrin, l’un des derniers survivants.

Vous-même avez signé quelques musiques de film. Que vous a enseigné cette expérience ? Quelle place la musique doit-elle occuper par rapport à l’image et, surtout, à l’histoire contée par le réalisateur ? Un simple contrepoint, une respiration ou alors un personnage à part entière, tel qu’en témoigne la collaboration entre Ennio Morricone et Sergio Leone ?

Il m’arrive de composer des musiques de film, mais je n’oserais jamais imaginer que je fais le même métier qu’Ennio Morricone ou Jerry Goldsmith, qui ont consacré leur vie au travail à l’image. Il est difficile de faire des généralités dans ce domaine, tant les situations varient selon les protagonistes et les projets. La musique peut représenter tout ce que vous avez décrit, et bien d’autres choses. Le dialogue avec le réalisateur est évidemment crucial, mais Morricone a écrit des partitions époustouflantes pour des films ou des metteurs en scène qui ne l’étaient pas toujours.

Chez Morricone, il y a évidemment les mélodies aisément mémorisables par tout un chacun. Mais il s’est également risqué à une musique plus atonale, parfois à la limite du bruitisme. Était-ce la marque d’un artiste complet ? Ou d’une certaine forme de facilité, sachant qu’il déléguait souvent à Bruno Nicolai, son assistant de toujours ?

Je ne crois pas que le mot facilité convienne à Morricone qui était, comme Michel Legrand, un bourreau de travail et un musicien à la virtuosité étourdissante. Je vous recommande ses mémoires (Ennio Morricone, ma musique, ma vie), publiés l’an dernier chez Séguier, où il aborde ses recherches musicales et ce qu’il appelle la musique absolue.

Ennio Morricone fut le premier, avant même Monty Norman et la guitare électrique de Vic Flick dans le fameux « James Bond Theme », à introduire cet instrument dans un univers où les cordes étaient souvent reines. Dans le même temps, il a remis à l’honneur de vieux instruments un peu oubliés, telle la guimbarde. Un pied dans le passé et l’autre dans le futur, l’impossible Graal des musiciens ?

Je ne sais pas si on peut parler d’empirisme organisateur, il ne faut pas sous-estimer ce qui relève du simple pragmatisme. J’entendais, ce matin, à la radio, un hommage qui lui était rendu. Ils ont diffusé la musique du Professionnel, utilisée par Royal Canin, et la guimbarde de Pour une poignée de dollars. C’est un peu réducteur, mais il est vrai qu’il est difficile de résumer son répertoire en deux titres, et ses morceaux les plus beaux ont parfois été écrits pour des films qui ne sont pas passés à la postérité. Il faut donc se plonger dans le coffret de 18 CD édité par Stéphane Lerouge dans sa collection « Écoutez le cinéma ! » (Musiques de films 1964-2015) pour prendre la mesure de son œuvre.

Propos recueillis par Nicolas Gauthier

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13 juillet 2020 à 12:00

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