Après le droit au bonheur, le devoir d’être en joie…

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Le maire des Essarts-en-Bocage, petite ville de 9.000 habitants en Vendée, vient de prendre un arrêté tout à fait officiel « portant obligation d’être en joie » sur le territoire de sa commune du 5 au 11 octobre 2019. Un arrêté pris à l’occasion de la première édition d’un festival de musique « Ville en joie ».

Sans vouloir être rabat-joie, une question vient immédiatement à l’esprit : cet acte, signé du maire et authentifié par le sceau à l’effigie de la République, fera-t-il l’objet d’un contrôle de légalité a posteriori par la préfecture ? En effet, obliger les citoyens à être en joie sur le territoire de la commune relève, en quelque sorte, d’une décision de police, non ? De la plus haute police, même ! Un arrêté dont l’examen en préfecture devrait faire la joie, si ce n’est le bonheur, de toute une ribambelle de fonctionnaires.

Poussons même l’extase à des niveaux nirvanesques : imaginons que le préfet, pas le genre préfet au champ ou le bonheur est dans le pré, décide de porter l’affaire au juge administratif pour faire annuler l’arrêté, histoire de dire à ce joyeux édile : « Calme ta joie ! » C’est alors le septième ciel assuré pour tout un peuple de robins, greffiers, juges, avocats, huissiers. Et les médias, les chroniqueurs du matin, du soir et de la nuit - j’allais les oublier, ceux-là. L’arrêté annulé au TA, comme on dit pour faire genre qui s’y connaît. Les politiques aussi, évidemment, s’emparent de l’affaire. Certains avec gourmandise. D’autres, plus prudents, se refusent à commenter une décision de Justice. Marlène Schiappa en profite pour dénoncer le sexisme de l’expression « fille de joie ». Donner de la joie, même pour quatre sous, n’est pourtant pas donné à toute le monde. La France s’enflamme. Le maire va en appel. L’affaire se termine même au Conseil d’État. On est en 2022, au moins... L’arrêté est rétabli, fait jurisprudence. Et là, « joie, joie, joie, pleurs de joie », comme disait Pascal ! On songe même à une loi. D'ailleurs, joie et loi, ça rime.

Le bonheur, on avait bien pensé à légiférer dessus, mais pas la joie. Eh oui, « la recherche du bonheur » n’est-elle pas reconnue dans la déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776 comme un « droit inaliénable » donné par le Créateur à tous les hommes ? Et nos chers révolutionnaires à nous, ceux-là mêmes qui inventèrent la Terreur, ne firent-ils pas inscrire, dans l’article 1 de la Constitution du 24 juin 1793, que « le but de la société est le bonheur commun » ? Mais sur la joie, rien, nada. Le bonheur de Charles Trenet serait à son comble et cet arrêté vendéen lui aurait sans doute inspiré un nouveau couplet à sa chanson déjantée.

Mais, au fait, pourquoi cet arrêté ? Parce « qu’il y a trop de morosité » dans le pays, a déclaré l’élu. N’est pas au bout de ses peines, monsieur le maire ! On connaissait le droit au bonheur. On aura donc le devoir d’être en joie ! Il se fait tard et nous épargnerons au lecteur une dissertation filandreuse sur la différence entre bonheur et joie. La femme de lettres, et non de joie, Delphine de Girardin (1804-1855) voyait dans le bonheur « une suite de petites joies, de niais contentements, de satisfactions imbéciles ». Le club des joies simples ne serait donc qu’un rassemblement de niais et d’imbéciles ? Les joies simples ? Celle, par exemple, de prendre un whisky après avoir mis le point final à ce papier.

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Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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