Annie Cordy était-elle une artiste engagée ? Incontestablement, lorsqu’on lit attentivement les paroles de « La bonne du curé » : « J’voudrais bien/Mais j’peux point » ! Moins évident pour « Tata Yoyo », autre chef-d’œuvre de notre patrimoine musical national, sorti à la fin du règne de Giscard. Quoique ! « Les Brésiliens m’ont surnommé la folle de Rio/Mais les enfants me donnent un nom plus rigolo... »

Certes, peu de chance qu’Annie Cordy entre au Panthéon pour cet autre trésor de la variété française qu’est « Cho Ka ka O », dont les paroles furent détournées par qui l’on sait. Et pourtant ! « Si tu me donnes des noix de coco, moi je te donne mes ananas. » Comment, sérieusement, ne pas voir dans cette chanson de 1985 comme une sorte d’invitation aux circuits courts et au commerce équitable ? Brune Poirson devrait y songer. En tout cas, Annie Cordy était une artiste résolument engagée sur la Route fleurie de la bonne humeur et cette route s’est achevée le 4 septembre, sur la Côte d’Azur, à Vallauris, dans sa 93e année.

En 2013, à plus de 64, non pas ans mais années de carrière, elle refusait de faire valoir ses droits à la retraite. « La retraite ? Ça me fait penser à la guerre ! » déclarait-elle à Philippe Vandel, sur franceinfo. Elle avait alors 85 ans, venait de sortir un CD et partait encore en tournée à travers la France de François Hollande, elle qui avait commencé comme meneuse de revue au Lido en 1950, sous Vincent Auriol. Bilan : 700 chansons enregistrées, 12 disques d’or, une trentaine de téléfilms et films (pas que des chefs-d’œuvre, comme Cigarettes, Whisky et P'tites Pépées, film dont on se plaît à évoquer le titre rien que pour faire bondir certain.s.es), une douzaine de pièces de théâtre, une dizaine de comédies musicales et opérettes, avec Bourvil, Georges Guétary, Jean Richard, Luis Mariano, Darry Cowl. Tout ce petit monde – je sais ! – évoque une France forcément rance mais qui ne se prenait pas au sérieux et voulait s’amuser au sortir de la guerre.

Annie Cordy enchaîna 10.000 galas à travers le monde, soit vingt-sept années de sa vie. Une athlète de l’éclectisme artistique ! Projetons-nous, ne serait-ce que dans un demi-siècle : nos artistes engagées et à thème du moment, comme Camélia Jordana - exemple pris au hasard de l’actualité récente -, tiendront-elles encore la rampe ?

Née belge, Léonie Cooreman, dit Annie Cordy, ne fut pas oubliée par sa patrie d’origine. En 2005, le roi Albert II lui accorda la noblesse personnelle et la fit même baronne. Sur son écu sont représentés deux masques de la commedia dell’arte, l’un riant, l’autre pleurant. Il est vrai que l’on retient plus les grimaces de la bonne du curé, mais on ne peut oublier qu’elle avait tourné dans des films dramatiques, comme par exemple Le Chat, avec Gabin et Signoret, où elle interprétait une patronne d’hôtel. Plus récemment, en 2015, dans Les Souvenirs, une comédie dramatique de Jean-Paul Rouve, elle avait ému par son interprétation d’une grand-mère qui s’échappait de sa maison de retraite. Rien à voir avec Tata Yoyo.

« Les cantiques ça n’vaut pas Claude Françoué », chantait la bonne du curé. Alors, le masque qui rit est de rigueur aujourd’hui.

NDLR : la devise d'Annie Cordy était « La passion fait la force ».

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05 septembre 2020 à 22:00

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