Affaire Charles Prats : ce que le ministre de la Justice reproche au magistrat anti-fraude sociale
L’épisode est révélateur de la cécité volontaire d’une certaine gauche à l’égard de la fraude sociale, ces arnaques en série aux prestations sociales que le magistrat Charles Prats chiffre, dans son dernier livre, Le Cartel des fraudes 2, à 100 milliards d’euros par an. Ce 2 novembre, dès potron minet, Cécile Duflot attaque le sujet d’une voix flûtée dans sa chronique hebdomadaire sur France Inter. « Est-ce que vous voyez la différence entre un hippopotame et un dindon ? », demande l’ancienne secrétaire nationale des Verts, ancien ministre du Logement, aujourd’hui directrice générale d’Oxfam France. « L’un est beaucoup plus gros que l’autre », répond l’homme de la matinale, Nicolas Demorand. « Oui, quatre-vingt-cinq fois plus gros, précise Cécile Duflot. « Comme la différence entre la fraude fiscale, l’hippo, et la fraude aux prestations sociales, le dindon. » On y est. Eh oui, pourquoi diable s’en prendre à « ces méchants parents » qui volent à leurs enfants les allocations de rentrée scolaire « pour s’acheter des écrans plats », ironise Duflot ? Elle y voit une forme de complot destiné à « faire oublier les montants galactiques de la fraude fiscale, on accable les plus pauvres ». Alors que « le pognon de dingue », « il est dans les paradis fiscaux », dénonce-t-elle, citant l’Irlande et les Pays-Bas. Cachez donc ces modestes détournements de pauvres qui cherchent à survivre. Cécile Duflot n’a sans doute pas lu Le Cartel des fraudes. On est loin de l’écran plat acheté sur les allocations de rentrée.
La sortie de Cécile Duflot éclaire d’un jour singulier ce que Boulevard Voltaire appelle l’affaire Charles Prats. Ce magistrat fait l’objet d’une enquête administrative déclenchée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti. Une procédure rare, et confiée à l’Inspection générale de la justice (IGJ), qui pourrait déboucher sur une procédure disciplinaire devant le Conseil de la magistrature.
Le crime de Charles Prats, vice-président du tribunal judiciaire de Paris où il exerce comme juge de la détention et des libertés depuis 2017, membre de la délégation nationale à la lutte contre la fraude entre 2008 et 2012, régulièrement interrogé dans les médias ou au Parlement et spécialiste reconnu de la fraude fiscale et sociale ? La dénonciation dans ses deux livres, Le Cartel des fraudes 1 et 2 (Éditions Ring), d’une fraude massive aux prestations sociales, aux minima sociaux, aux allocations chômage, au RSA. « Il faut, avant d’aller chercher à prendre encore plus d’argent dans les poches des contribuables français, aller reprendre les 100 milliards d’argent public volés chaque année par les fraudeurs fiscaux et sociaux », résume la couverture du livre.
C’est précisément cette démarche, qu’on pourrait penser de salut public mais que dénonce une Cécile Duflot, qui lui est reprochée. Cette démarche et la détermination du magistrat à en parler aux Français.
Dans une longue note très détaillée, barrée de la mention « confidentiel », issue du ministère de la Justice et datée du 19 mars 2021, la directrice de cabinet du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti pose les éléments qui motivent cette enquête. Cette note a été rendue publique par la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet sur le réseau Twitter, ce 27 octobre.
Florilège. Un article du site de L’Obs du 1er juillet 2019 aurait mis en cause l’impartialité du juge qui maintient Antonin Bernanos, coffré pour des violences, en prison. Le ministère a aussi noté un tweet du 16 mars 2019 dans lequel le magistrat dénonce les conséquences des exactions des antifas et de l’extrême gauche. Nouveau tweet dans le même sens le 17 mars 2019. En mars 2019, il était interrogé sur la mise en cause par ses interlocuteurs de son devoir d'impartialité et de réserve. Et se défend. « Décrire un phénomène, voire même laisser penser qu'on le désapprouve, ce qui est plutôt normal concernant des faits délictuels criminels, ne me semble pas incompatible avec les devoirs d'un magistrat dont tout le travail et même l'honneur est de savoir s'extraire de ses propres convictions […] » Prats explique que son compte personnel lui sert de vecteur de communication à la fois syndical et politique, ajoute la note.
Mais le magistrat ne renonce pas et dénonce toujours la fraude.
« Le 30 avril 2020 Monsieur Charles Prats dénonce une fraude potentielle aux prestations sociales à hauteur de 3 milliards d'euros lors d'une interview au Figaro Magazine », poursuit le ministère. Le 1er janvier 2021, rebelotte dans le magazine VSD. Le ministère n’a pas apprécié, non plus, « une série de tweets et de retweets » dénonçant les trafiquants de stupéfiant, les réformes de l'administration des douanes ou les poursuites pénales abandonnées devant les tribunaux pour enfants. « Bienvenue au Laxistan », lance Prats.
Tant de détermination à dénoncer les fraudes et les fraudeurs, tant de soin pour l’intérêt général deviennent intolérables à l’État macroniste. « La multiplication des prises de parole de Monsieur Charles Prats peut interroger sur son respect de ses devoirs de réserve et de prudence », avance le ministère. Conclusion : « Les déclarations publiques de Monsieur Charles Prats […] paraissent devoir faire l'objet d'investigations complémentaires. » Monsieur le garde des Sceaux demande de « diligenter une mission d'enquête administrative aux fins de procéder à toute vérification utile sur les incidents et comportements de Monsieur Charles Prats ». Et réclame « les mesures urgentes qui pourraient s'avérer nécessaires ».
Le groupe UDI dénonce ces manœuvres. L'avocate de Charles Prats, Maître Caroline Wassermann, annonçait, le 29 octobre, sur le site du Figaro, qu'elle lâchait « une procédure totalement à charge » qualifiée par elle de « mascarade » au parfum très politique. Ces procédés autoritaires hippopotamesques vous rappellent les heures troubles de l’URSS ? Bienvenue en Macronie, où le dindon porte un nom : le contribuable.
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