Abbé Laurent Spriet : « Une prise de conscience est toujours possible, même dans une société relativiste, ultralibérale voire libertaire »

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Au lendemain de la publication du nombre d'avortements en 2019, l'abbé Laurent Spriet, auteur de Se relever après un avortement, réagit et témoigne de son expérience de prêtre accompagnant des femmes ayant mis un terme à leur grossesse.

Les chiffres des avortements réalisés en 2019 viennent d'être publiés par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques). Que vous inspirent-ils ?

Un écœurement et une profonde tristesse. Un écœurement devant tant de bébés qui ne verront pas le jour et une profonde tristesse pour toutes ces femmes meurtries à vie. La DREES affirme : « En 2019, la France enregistre 232.000 IVG, soit le nombre le plus élevé depuis les années 1990. » Cela fait, en moyenne, 635 avortements par jour en France. Pour nous aider à réaliser : 232.000, c’est plus que le nombre d’habitants de la ville de Rennes et c’est presque celui de la ville de Lille. Un avortement pour trois naissances en France. Et certains veulent nous faire croire que le droit à l’avortement est en danger… C’est dramatique. Nous sommes encore loin du chiffre mensonger que Simone Veil avait osé avancer à l’Assemblée nationale en 1974 : « Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300.000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. » Le chiffre était faux mais le constat était déjà juste : mutilation, humiliation, traumatisme. Sur cette analyse, Mme Veil avait malheureusement raison.

L’amendement sur la détresse psychosociale permettant de pratiquer une IMG jusqu’au terme de la grossesse a suscité une grande indignation. Pour autant, un avortement à quelques semaines de grossesse semble être banalisé dans les esprits. L’acte est-il moins grave sur un « amas de cellules » plutôt que sur un fœtus ?

Il n’y a pas d’amas de cellules… Dès la fécondation il y a un ADN humain. C’est un fait scientifique. Je cite le professeur Israël Nisand : « Dès la première cellule, c’est un être humain, c’est pas un castor… c’est un être humain mais il n’a pas tous les droits de la personne […] interrompre une grossesse, c’est interrompre une vie humaine. » C’est clair. Toutes les potentialités de cet être humain ne sont pas développées mais c’est un être humain. Un enfant de 5 ans n’a pas, non plus, déployé toutes ses virtualités, il n’en est pas moins un être humain. Quel que soit le stade de développement de l’embryon, du fœtus ou du bébé, cet être humain doit être respecté. Personne n’a le droit de lui ôter la vie. Et pourtant, en France, certains se sont arrogé ce prétendu droit.

Par ailleurs, vous dites que l’amendement visant à permettre de pratiquer une IMG jusqu’au dernier moment de la grossesse « pour des raisons psychosociales » a suscité une grande indignation : je ne suis pas d’accord avec vous. C’est plutôt le silence de beaucoup qui suscite une légitime indignation. Il faut dire que les personnes qui sont derrière cette loi savent s’y prendre : une « discussion » au cœur de l’été, un vote vers 4 heure du matin, 101 députés présents sur 577, un texte voté à 60 voix contre 37. En fait, nous assistons à une course à l’IVG ! Il semblerait qu’il en faille toujours plus. C’est une forme de suicide plus ou moins conscient d’un peuple. À ce propos, permettez-moi de citer encore Simone Veil dans son triste discours du 26 novembre 1974 : « L'intérêt de la nation, c'est assurément que la France soit jeune, que sa population soit en pleine croissance. Un tel projet, adopté après une loi libéralisant la contraception, ne risque-t-il pas d'entraîner une chute importante de notre taux de natalité qui amorce déjà une baisse inquiétante ? » Là encore, elle avait raison. Je suis d’ailleurs étonné que les Français ne soient pas capables de faire un lien entre les enfants non nés, puisque avortés pendant des décennies, et le flux migratoire orchestré par nos élites pour combler le vide démographique…

« L’avortement restera toujours un drame », selon les propres mots de Simone Veil, en 1974, et pourtant, son accès est facilité, un rapport parlementaire souhaite même étendre son accès à 14 semaines au lieu de 12. Pourquoi un tel paradoxe ?

Vous relevez ce qui semble être un paradoxe entre 1974 et aujourd’hui, mais vous oubliez peut-être l’évolution des lois due à la volonté de plusieurs générations d’élus. Nous sommes passés de : « C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme » (Simone Veil, le 26 novembre 1974) à : l’avortement est un droit garanti par la loi. Un droit indiscutable et donc un bien. Un bien qu’il faut protéger contre ceux qui voudraient éventuellement dissuader une femme enceinte d’avorter ou même simplement l’informer du déroulement d’un avortement médicamenteux ou chirurgical et des conséquences de cet acte pour elle et pour son enfant. N’oublions pas qu’il existe un « délit d’entrave » numérique à l’IVG aujourd’hui. Permettez-moi de citer encore une fois Simone Veil (même si je ne partage, évidemment, pas son analyse) : « Je n'ignore pas l'action de ceux qui, profondément conscients de leurs responsabilités, font tout ce qui est à leur portée pour permettre à ces femmes d'assumer leur maternité. Nous aiderons leur entreprise. » Qu’en est-il, aujourd’hui ? Que fait-on pour aider les femmes à garder leur bébé ? La notion de « détresse » a été supprimée, le « délai de réflexion » aussi. Lors du confinement, l’accès à l’IVG médicamenteuse, hors milieu hospitalier, a été facilité et le délai légal allongé. Nous sommes passés d’un « drame » à un droit, d’un « drame » à un bien qu’il faut défendre et même étendre toujours plus. Il faudrait se souvenir de ce que disait le prophète Isaïe : « Malheur à celui qui appelle le mal bien, et le bien mal » (Is 20, 5).

En tant que prêtre, vous avez accompagné de nombreuses femmes ayant avorté. Celles-ci témoignent de regrets ou de culpabilité. À l’inverse, peut-on rester totalement insensible à cet acte et vivre comme si rien ne s’était passé ?

C’est vrai, depuis plus de dix ans, j’ai la grâce d’accompagner de nombreuses femmes ayant subi un avortement. J’essaie de leur proposer un chemin de relèvement. Les femmes qui ont vécu le drame de l’avortement doivent être écoutées, accueillies, aimées, soutenues, relevées. Saint Jean-Paul II disait : « L’erreur et le mal doivent toujours être condamnés et combattus ; mais l’homme [ou la femme] qui tombe ou se trompe doit être compris et aimé. »

Pour répondre à votre question, il faudrait interroger un psychiatre ou un psychologue car ils seraient beaucoup plus compétents que moi. Je tente cependant une réponse : je constate qu’il existe chez certaines femmes une forme de déni qui me semble être une forme d’autodéfense psychologique, ou encore une forme d’auto-justification liée aux circonstances de leur « choix ». En réalité, la plupart des femmes disent qu’elles n’avaient pas le choix. Qu’aucune autre alternative ne leur a été offerte.

 La loi naturelle est-elle encore audible dans notre société relativiste ?

Je crois surtout que c’est le droit à l’information vraie qui pose problème, aujourd’hui, en France. Qui parle, en vérité, de l’avortement ? En revanche, il existe une bonne nouvelle : il n’est pas possible de faire taire totalement la petite voix qui ne cesse de retentir dans chaque conscience humaine et qui nous pousse à faire le bien objectif et à éviter le mal objectif. La conscience morale peut être déformée mais elle peut aussi être éclairée et atteindre à nouveau ce qui est vrai et bon objectivement. À titre d’exemple, un film américain va bientôt sortir en version française : Unplanned (cf. SAJE Distribution). Il raconte l’histoire vraie d’une responsable d’une clinique américaine (Abby Johnson) dans laquelle se pratique beaucoup d’avortements. Cette femme, qui avait déjà subi deux avortements dans sa vie, a été amenée à coopérer à un avortement chirurgical et cela a transformé son jugement et son engagement. Elle est devenue « pro-vie ». Les femmes que j’accompagne me montrent qu’une prise de conscience est toujours possible, même dans une société relativiste, ultralibérale voire libertaire, et qu’elle est salutaire et bienfaisante. Tôt ou tard, la vérité finit par triompher. Je reste donc profondément optimiste car le Seigneur n’échoue pas et parce qu’Il est déjà vainqueur.

Entretien réalisé par Iris Bridier

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Abbé Laurent Spriet
Prêtre du diocèse de Lyon

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