70 ans après, la Déclaration universelle des droits de l’homme est-elle encore universelle ?

Entretien avec Grégor Puppinck, docteur en droit, directeur du Centre européen pour le droit et la justice. Il vient de publier « Les droits de l’homme dénaturé » (Le Cerf) dans lequel il analyse de façon critique la transformation des droits de l’homme depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

C’est aujourd’hui le 70e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Selon vous, qu’a apporté ce texte ?

Il y a 70 ans, le 10 décembre 1948, les Nations unies trouvèrent – pour la première fois dans l’histoire de l’humanité – un accord fondamental sur ce qu’il faut protéger en tout homme : ses droits et libertés fondamentales. Cet accord reposait sur "la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine" et aspirait à "l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère", comme l’énonce la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Les États parvinrent à se mettre d’accord sur une liste de droits essentiels, visant à protéger la faculté de chaque personne à s’accomplir dans toutes les dimensions de l’existence. C’est ainsi que furent instituées les protections de la vie, de l’intégrité physique, la liberté de se marier et de fonder une famille, les libertés sociales d’association et d’expression, ainsi que les libertés de pensée, de conscience et de religion. Il s’agissait de protéger les personnes contre le risque d’absolutisme des États, après les expériences nazie et soviétique.

Des efforts considérables ont été accomplis, depuis, pour étendre les droits de l’homme à d’autres domaines de l’existence, pour les actualiser et les rendre plus effectifs. Globalement, le système international de protection des droits de l’homme s’est étendu et renforcé. Toute une série d’institutions a été créée à travers le monde. En plus des Nations unies, chargées de veiller au respect des droits de l’homme au plan universel, il existe aussi la Cour européenne des droits de l’homme et des équivalents en Amérique, en Afrique et en Asie.

Dans votre livre, vous dénoncez une instrumentalisation des droits de l’homme par les idéologies. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Après la Seconde Guerre mondiale, les droits de l’homme apparaissaient comme une promesse universelle de paix et de justice. Aujourd’hui, ils sont devenus un champ de bataille idéologique, où s’affrontent les civilisations.

En effet, alors que l’effort des droits de l’homme a toujours été de dépasser la politique et les intérêts nationaux, le système est aujourd’hui particulièrement menacé par l’idéologie. La menace est réelle, car les droits de l’homme sont de plus en plus instrumentalisés à des fins idéologiques, qu’elles soient politiques ou religieuses. Cette utilisation abusive des droits de l’homme les fragilise et conduit à leur rejet.

Ainsi, l’activisme de pays occidentaux à diffuser la culture libérale-libertaire, et à imposer les pseudo-droits qui vont avec, choque évidemment le reste du monde. Déjà, en Europe, une bonne partie des États d’Europe centrale ne veulent pas de ces « nouveaux droits antinaturels » et ils se méfient à présent de la Cour européenne des droits de l’homme.

La Déclaration de 1948 se voulait une interprétation « universelle » des droits de l’homme. L’islam n’a-t-il pas mis en échec cette prétention à l’« universalité » ?

Le consensus universel sur les droits de l’homme est, en effet, battu en brèche par l’activisme des 57 États membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui promeuvent des droits de l’homme islamiques et refusent le principe même de la liberté individuelle puisque, selon la « Déclaration des droits de l’homme en islam », signée au Caire en 1990, « l’islam est la religion naturelle de l’homme », et que les droits de l’homme sont soumis à la charia.

Cependant, la responsabilité de la fragilisation des droits de l’homme et de la perte de leur universalité ne pèse pas seulement sur les pays islamiques, mais aussi sur l’activisme idéologique d’organisations et gouvernements occidentaux. Les droits de l’homme sont, en fait, pris en tenaille entre la charia, d’une part, et l’individualisme libertaire, d’autre part. Et il faudrait choisir entre l’un ou l’autre : entre la peste et le choléra. Ce conflit idéologique nous fait oublier le contenu originel de la Déclaration de 1948 et son but, qui était justement de dépasser les idéologies.

L’individualisme libertaire et la charia ont en commun de refuser le fondement même des droits de l’homme, à savoir l’existence d’un « droit naturel » qui peut être connu par la raison en observant la nature humaine, et qui existe indépendamment de la volonté arbitraire des États, d'« Allah » ou de l’individu.

Les véritables droits de l’homme reposent entièrement sur la connaissance et le respect de la nature humaine. C’est elle qui leur confère leur contenu, leur autorité et leur universalité.

Grégor Puppinck
Grégor Puppinck
Docteur en droit - Directeur du Centre européen pour le droit et la justice

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