C’est John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, qui a lancé l’affaire mercredi : "Si le régime syrien emploie des armes chimiques, nous réagirons très fortement et ils feraient bien de réfléchir un bon moment avant une quelconque décision." Bolton évoque ainsi la prochaine bataille qui sera menée par l’armée syrienne : la reconquête de la province d’Idleb, la dernière tenue par les islamistes.

Cette déclaration est inquiétante car ce type d’avertissement est à géométrie très variable : les Américains n’ont jamais évoqué cela lors des reconquêtes de Der ez-Zor, où l’armée syrienne avait Daech en face d’elle, ou de Deraa, où ils avaient donné leur feu vert aux Russes et abandonné leurs alliés islamistes. Ils s’étaient contentés de demander aux Israéliens l’exfiltration des Casques blancs, ces secouristes très islamistes que l’Occident encense, finance et manipule. Russes et Syriens avaient observé cette évacuation, sans intervenir bien sûr, car il y avait un accord.

Tout a été différent lors de la bataille de la Ghouta. Cette reconquête de 15.000 kilomètres carrés de la banlieue de Damas n’avait pas le feu vert américain : Daech n’était présent que dans le camp de Yarmouk. La plus grande partie était tenue par d’autres groupes islamistes dont certains avaient été soutenus par les Américains ; de nombreux Casques blancs étaient présents également. Surtout, cette bataille était décisive : après la reconquête d’Alep l’année précédente, celle de la Ghouta marquerait un tournant, définitif cette fois, de la victoire de l’armée syrienne et du succès de l’intervention russe.

Les Américains avaient tenté de dissuader les Russes de mener cet assaut, en vain. Et à deux jours de la chute du dernier quartier de la Ghouta, à Douma, l’armée syrienne fut accusée d’attaque chimique et les Casques blancs firent circuler photos et vidéos d’enfants avec des masques à oxygène… En outre, Trump et Macron affirmaient détenir des preuves de la culpabilité syrienne mais personne ne les a jamais vues. Plusieurs frappes eurent lieu, on s’en souvient.

Se pourrait-il qu’une nouvelle manipulation ait lieu si l’armée syrienne lance l’assaut contre Idleb ? Sentant la menace, les Russes ont réagi samedi. Le porte-parole du ministère de la Défense, Igor Konachenkov, a dénoncé la préparation d’une "nouvelle provocation pour accuser le gouvernement syrien". Il a rappelé que le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS, pour les intimes), nouveau nom du Front al-Nosra, régnait sur 60 % de la province. Ces derniers jours, plusieurs réservoirs de chlore ont été acheminés par HTS vers la ville de Jisr al-Choghour, a affirmé Konachenkov ajoutant que les services secrets britanniques "participaient activement" à cette future manipulation.

Mais pourquoi préparer un nouveau scénario de ce type puisque le sort de la guerre est jeté ? Pour une raison stratégique essentielle. Idleb ne peut être reconquise que si Poutine et Erdoğan se mettent d’accord sur l’après : que faire des islamistes hors HTS, soutenus par les Turcs ? Et, surtout, comment administrer cette province limitrophe de la Turquie ?

Pour les Américains, qui occupent le reste du nord de la Syrie avec leurs amis kurdes, une entente russo-turque à Idleb serait une défaite diplomatique majeure entraînant inéluctablement leur départ. Alors, une bonne petite attaque chimique du méchant Assad soutenu par le méchant Poutine…

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:57.

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27 août 2018 à 15:02

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