[Tribune] Les pillages seront-ils subventionnés par l’État ?

EMEUTES STATES

Imaginez quelques instants : le 1er juillet dernier, vous profitez des émeutes pour vous « amuser ».

Vous participez à allumer le feu à un entrepôt, vous lancez quelques pierres sur la police de loin. Puis vous frappez un homme au hasard, en lui assenant quelques coups au sol. Une soirée d’émeutier bien rentabilisée. Mais manque de chance, à quelques centaines de mètres de chez vous, la BAC vous arrête. Vous êtes placé en détention provisoire et incarcéré. Vous savez que vous avez commis plusieurs délits, mais étant habitué de la Justice, vous vous doutez que vous serez libre d’ici quelques jours.

Seulement, cette fois, devant l’afflux de dossiers, la Justice met plus de temps que prévu et vous attendez en prison près d’un mois et demi.

Puis, tout d’un coup, sans que vous sachiez pourquoi, la prison vous libère. Le tribunal estime qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour vous condamner. En effet, la BAC n’a pas conservé les pierres que vous lui avez lancées dessus et il est donc impossible de vous condamner. Puis il y a mieux. Quelques mois plus tard, vous recevez un courrier officiel. À l’intérieur, un chèque de 5.000 euros… Cela valait la peine de ne pas partir en vacances, non ?

Il y a fort à parier que ce genre de situation est réellement arrivé, ces derniers jours. En effet, le journal Libération abordait, récemment, le sujet de l’indemnisation des émeutiers ayant été placés en détention provisoire mais ensuite reconnus innocents par la Justice. Selon un avocat interrogé par Libération, le dédommagement devrait se situer aux alentours de 5.000 euros pour les personnes incarcérées environ un mois et demi. Une simple estimation, mais qui pose question, tant elle paraît être un encouragement public à la délinquance…

Un principe louable

Précisons d’abord qu’il est tout à fait normal qu’une personne emprisonnée à tort soit indemnisée. Ces personnes ont parfois perdu leur salaire, leur réputation, leur dignité même, etc. Ce principe de l’indemnisation est même une garantie contre l’arbitraire, une façon de responsabiliser l’État. L’État étant tenu pour responsable des détentions qu’il prononce contre des citoyens, il aura tendance à utiliser cette compétence à bon escient. Ce principe est plus que louable : il est nécessaire.

De plus, mon exemple est évidemment caricatural. Bon nombre de ces personnes libérées sont vraiment innocentes et n’ont pas simplement bénéficié de l’incapacité du parquet à prouver leur culpabilité. Mais, comme tout principe, celui-ci ne saurait être absolu et la situation spécifique des émeutes pose des problèmes spécifiques.

À situation exceptionnelle, traitement exceptionnel

En effet, lorsqu’elle est prononcée, la détention provisoire ne s’appuie en général pas sur rien. Si elle peut évidemment parfois être abusive (par exemple, contre le policier qui a tiré sur le délinquant routier à l’origine des émeutes), elle n’est, en principe, prononcée que dans des circonstances précises, contenues à l’article 144 du Code de procédure pénale.

Mais, surtout, les émeutes étaient une situation exceptionnelle, en particulier du point de vue de la collecte des preuves. De l’avis de l’immense majorité des policiers et des parquetiers, la recherche des preuves est extrêmement malaisée, lors de ce genre d’événement. C’est un problème récurrent, notamment lors des manifestations violentes. Il est très difficile, voire impossible, de prouver avec précision qui est l’auteur des crimes et délits constatés. Un policier a été très gravement blessé, c’est un fait. Mais qui en est l’auteur précis ? La Justice a beaucoup de mal à le savoir.

Et cela remonte à loin, puisque le pouvoir gaulliste avait eu, avec beaucoup de gravité, la même difficulté en mai 1968. C’est ce qui est à l’origine de la première loi « anticasseurs », votée en 1970. Cette loi inhabituelle prévoyait une responsabilité pénale collective pour les manifestants à proximité des violences commises. Ainsi, même lorsque la preuve était malaisée à produire, les auteurs de violences pouvaient être condamnés pour avoir pris part à un groupement violent.

Cette loi a été abrogée en 1981 par François Mitterrand. Mais pour éviter le risque de subventionner, avec l’argent des Français, les prochains pillages, la question de son retour peut se poser.

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Pierre-Marie Sève
Directeur de l'Institut pour la Justice

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Il y a belle lurette que le contribuable est invité à payer pour des actions destinées à lui nuire. On se demande même si l’essentiel de l’impôt n’y est pas consacré.

  2. Ils sont déjà financés…qui paye les milliards des cités ???? Le responsabilité collective est actée de fait par les impots….

Commentaires fermés.

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