Sur la plage abandonnée…

plage

Nous savions déjà que la chaleur rend amorphe, mais saviez-vous que le soleil rend idiot ?

À l’approche des relâches estivales, les médias, d’un air entendu, secouent mollement le cocotier pour en faire tomber des nouvelles de saison. Ce marronnier a un air de déjà-vu. N’est-ce pas le même que l’on travestit en sapin de Noël, en citrouille d’Halloween et en lapin de Pâques ? Dans l’air vibrionnant d’une excitante attente, la fréquence des flashes météo se gravant en une permanence rétinienne dans nos yeux hébétés augmente en proportion de la courbe des chaleurs ascendantes : température de l’air, température de l’eau (Celsius, Kelvin et Fahrenheit), minima et maxima, direction des vents, anticyclone des Açores, classements européens de la propreté des plages… Tout le pays est pris d’une frénésie hautement scientifique. Bison futé va bientôt s’ébrouer et Homo hibernatus déconfiné va enfin sortir de sa prison de glace.

On entasse la famille, on tasse les bagages, on abandonne Médor… et hop ! on lâche la folie comme on lâche les chiens. The final countdown est lancé. Un, deux, trois… partez ! C’est la ruée vers l’or bleu, la course à l’azur, juilletistes et aoûtiens en chassé-croisé démentiel… Pied au plancher, tombeau ouvert et tant pis pour le crash. Pas une seconde à perdre. Le bonheur, ça n’attend pas !

Pour d’autres, l’enfer commence… les autochtones, les indigènes, les résidents balnéaires, les locaux impuissants. Une marée humaine va bientôt recouvrir l’estran. C’est un vrai tsunami ! Ça déboule en cohortes de lemmings, pressés en files indiennes pour aller se noyer. Ça se bouscule en tongs pour conquérir un territoire minuscule où poser la serviette, où poser la glacière, où planter l’étendard de l’ombrelle. Comme ça s’impatiente d’aller se carboniser la couenne en couleur écrevisse ! Ah, ce qu’on est bien, serrés comme des sardines… Et soudain, tout n’est que dévastation, champ de ruinées adipeuses étalées en méduses, éléphants de mer échoués comme morts, châteaux de sable érigés en Espagne… Cris de mouettes rieuses, de qui se moquent-elles ? Enfants piaillant transperçant le vacarme, parasols envolés embrochant les bedaines, strings-ficelles pour aller faire ses courses, mini-jupe et Matouvu désorbitant les yeux… et partout, vus en contrechamp en un regard hagard, des seins qui vous frôlent, des culs qui vous narguent, du sable dans la bouche, des pubis mal cachés, des raies arrogantes, du gras répandu, des beautés en jeunesse, de la mocheté décatie, des sauveteurs entourés, des muscles affaissés, des pédalos à gogos, des kitesurfs emportés, des jet-skis assassins… Qui veut des chouchous ? Les bons, les bons, les bons churros… Une jolie photo-souvenir ? À qui donc est ce chien à la con ? Où est donc passée cette fille aux gros nichons ? À quelle heure se déroule la soirée mousse, l’élection de Miss seins nus, de Monsieur tee-shirt mouillé, du plus coquin tatouage ?

C’est là qu’apparaît à l’observateur averti l’étonnant paradoxe : celles qui, hors saison, s’offusquaient qu’on leur regarde l’arrière-train à la ville n’ont maintenant qu’une envie à la plage : se foutre à poil et écarter les jambes afin de mieux se faire bronzer l’intérieur des cuisses. Comment voulez-vous être serein et lire Cioran dans le texte dans de telles conditions ? Si tenue et retenue sont des marqueurs de société, la retenue n’est plus de mise quand les tenues se font aussi légères. Elles font mine de masquer et ne font que surligner… au Stabilo Boss™ fluo.

Que sont devenues les plages d’antan où des enfançons en dentelle jouaient au cerf-volant, où des élégantes en frous-frous se mouillaient la cheville, où des voiliers de teck régataient sous le vent… Gatsby the Great, reviens parmi les tiens… sinon, je vire Taliban ! Talibans ? Parlons-en ! L’homme du temps passé conjugué au présent est pris entre deux feux. Entre naturistes débridés et djihadettes en burkini, quels maux supporter et quel mot faut-il choisir ? Crévaindieu, mille sabords, mortecouille ? Les groupies du burkini sont des Femen comme les autres. Les unes se couvrent et les autres se découvrent. En voiles trop pudiques ou à poil impudiques, l’usage de leur corps est toujours une exhibition publique si ce n’est une affirmation politique.

Il ne manquait plus que cela pour achever de gâcher le paysage à un singe en hiver qui n’est plus de saison.

Alors, c’est peut-être pas bien mais, voyez-vous, je ne peux m’en empêcher. Quand il neige en été, moi, je ricane avec méchanceté ! Car alors, sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés pourront être récoltés en toute sérénité.

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