Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la politique étrangère de la France ressemble au bateau ivre de Rimbaud. Plus légère qu'un bouchon, elle danse sur les flots, sans cap ni capitaine. On se souvient de Macron à Moscou, au mois de février dernier, pérorant du bout de sa longue table en marbre sous l’œil lointain et indifférent de Poutine. La magie du verbe présidentiel n’avait manifestement pas beaucoup pesé face à la détermination du chef de l’État russe et à ses dizaines de milliers de soldats qui affutaient leurs armes.

Après quelques mois de navigation hasardeuse, entre appels à ne pas humilier la Russie et livraisons de canons Caesar à l’Ukraine, c’est un Macron repentant qui s’est rendu à Kiev, le 16 juin, pour obtenir le pardon d’un Zelensky magnanime qui l’a absout de tous ses péchés.

Cette fois-ci, c’est promis, plus de « macronades » mais un engagement inconditionnel aux côtés de l’Ukraine.
La presse française s’en est immédiatement félicitée. Le Figaro commentait ainsi, le 17 juin : « Emmanuel Macron semble avoir renoncé “en même temps” qui va si mal à cette guerre et avoir choisi son camp. “Aujourd’hui, dit-il, il faut gagner cette guerre.” Il appelle, sans ambiguïté, à une “victoire” de l’Ukraine, tandis qu’une source diplomatique va même plus loin en affirmant que le pays doit récupérer l’intégralité de son intégrité territoriale. Y compris la Crimée… »

On se croirait à la Maison-Blanche, il y a quelques semaines, quand Biden et le chef du Pentagone annonçaient encore la victoire de Kiev et une Russie à genoux. Le problème, c’est que, depuis, le vent a tourné et le ton a changé, à Washington, quand bien même les médias français se refusent à le reconnaître. Outre-Atlantique, c’est, en effet, une autre musique qui commence à se faire entendre, bien différente des bruits de bottes qui rythmaient jusque-là les déclarations officielles.

Le jour où paraissait l’article du Figaro, le Washington Post reconnaissait qu'« en dépit de l'augmentation de l'aide extérieure et du bon moral des troupes ukrainiennes », Kiev et ses soutiens ne pouvaient espérer « guère plus qu'une impasse avec l'armée russe, bien plus grande et mieux armée ». « Il est temps de commencer à penser à la fin de partie en Ukraine », écrivait, le 16 juin, le journaliste phare de CNN, Fareed Zakaria, reprenant, après d’autres, l’hypothèse du scénario coréen sur la base du constat suivant : à un moment donné, soit le vent tourne définitivement en faveur d’une des deux parties, soit elles se retrouvent dans une impasse car elles prennent conscience que le conflit ne pourra pas s’achever par une victoire militaire.

Dans l’historiographie anglo-saxonne, le terme d’« impasse » renvoie à la dernière période de la guerre de Corée qui voyait s’affronter deux coalitions, l’une menée par les États-Unis aux côtés des Sud-Coréens, l’autre par la Chine communiste et l’URSS aux côtés des Nord-Coréens.

En 1953, après trois années d’une terrible guerre qui avait ravagé le pays et fait plusieurs millions de morts, les deux parties avaient fini par se résigner à l’idée d’un règlement négocié sur la base d’une partition du pays et d’un retour au statu quo ante bellum. Cette évocation du scénario coréen montre que l’objectif américain s’est considérablement réduit : on continue à armer l’Ukraine mais pour limiter les dégâts et renforcer la position de Kiev avant d’inévitables négociations. Peu de chance, cependant, sauf nouveau revirement militaire, que Poutine accepte de revenir à la situation qui prévalait au début des hostilités, le 24 février dernier.

En revanche, on peut penser que les Américains ont de fortes chances, avec Zelensky, de faire face aux mêmes difficultés que celles rencontrées avec le leader sud-coréen de l’époque, Syngman Rhee. Refusant la partition du pays, celui-ci avait tenté par tous les moyens d’empêcher une solution négociée et réclamait la poursuite des combats jusqu’à la défaite totale de ses adversaires communistes. Pour le moment, Biden jure la main sur le cœur qu’il ne fera pas pression sur Zelensky quant à d’éventuelles concessions territoriales. Mais face à la flambée des coûts de l'énergie, aux ruptures d’approvisionnements, à l’inflation et aux perspectives de famines, il est probable que les Occidentaux voudront bientôt en finir au plus vite.

Dans ce contexte, on mesure à quel point les déclarations bellicistes de Macron, à Kiev, sont anachroniques. Celui qui se voulait le « maître des horloges » se révèle être, finalement, le maître des contretemps.

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19 juin 2022 à 21:52

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10 commentaires

  1. Si Poutine et ZELENSLY comprennent MACRON quand il leur parle
    comme nous le comprenons, nous, quand il nous parle ……………. ?

  2. Macron dés l’âge de 15 ans est monté sur les planches pour jouer la comédie, du théâtre, il y aurait rencontré Brigitte (sic) !! « en même temps » déjà, excellent élève dans une école Privée où l’on peut apprendre toutes les hypocrisies qu’il faut avoir au cours de sa vie pour réussir. Assurément là dessus il est excellent, et peut, a pu, en tromper beaucoup….Mais face au plus vaste et puissant Pays et nucléaire, de plus tenu par l’Orthodoxie, une partie de l’Ukraine semble perdue.

  3. Mais pourquoi, les chars russes « à l’entrainement » à la frontière ukrainienne, y sont-ils entrés ? Certes, Maïdan et Minsk posaient problème.
    « La Parole vaut toujours mieux que les Armes ! »
    Que de temps et de vies perdues pour en revenir dans qq années au « statu quo ante bellum » !! Sans parler des conséquences économiques…

    1. « Les chars russes à la frontière de l’Ukraine » y sont entrés tout simplement pour secourir à leur demande ceux que l’on appelle »séparatistes » pro russes, sur le point d’être massacrés au terme d’un conflit commencé en 2014. A cette date, ils ne demandaient que leur autonomie au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Peut-on leur reprocher à présent de revendiquer leur indépendance, sans intégrer la Fédération de Russie ?

  4. Il n’y a qu’en France qu’une partie de la population prend au sérieux ce jeune prétentieux inculte voire dangereux!

  5. Parodions l’intéressé : il ne faut pas humilier Monsieur Macron ! Ouvrons-lui toutes grandes les portes de sortie.

  6. « Celui qui se voulait le « maître des horloges »… »
    Macron n’a jamais été maître de rien du tout et encore moins de ces fameuses horloges.
    Macron n’a jamais rien obtenu par la discussion ou la négociation. Il ne connait que la force et la contrainte.
    Ce qui fonctionne avec des populations sans défense n’a pas du tout le même effet sur un chef d’état déterminé et puissant. N’oublions pas non plus l’humiliation de notre armée virée du Mali comme une malpropre.

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