Sur le thème de la trahison, on a évoqué, en mêlant tout allègrement, au cours des dernières années, Éric Besson, Manuel Valls, François de Rugy, Édouard Philippe ou Gérald Darmanin. Et d'autres moins connus. Dans la vie politique, essentiellement.

Il faut se déprendre, dans l'univers du pouvoir, d'une sorte de fatalisme triste et résigné qui vous ferait presque considérer comme inéluctables la violation des engagements et le reniement des promesses. En même temps, rien ne serait pire que de se faire plaisir en stigmatisant à l'envi la moindre évolution, le plus léger glissement, comme s'il convenait d'être fier de son dogmatisme et de son immobilisme intellectuel.

Talleyrand, qui s'y connaissait et était étranger à toute naïveté, avait soutenu que la trahison n'était qu'une question de date. C'est joliment dit, mais un peu court.

Tout passage d'un camp à un autre est-il une trahison ? Je ne crois pas, même si on peut s'y laisser prendre puisque la trahison politique n'a de sens ni d'intérêt que dans un monde où la victoire est certaine ou probable. Abandonner une cause pour une autre dans un espace minoritaire et sans espoir, même à moyen terme, n'est plus une trahison mais une manière de masochisme ou une spéculation géniale, une anticipation fulgurante.

Reprenons l'exemple de Manuel Valls et de François de Rugy. Lors de l'exercice de la primaire de la gauche, l'un et l'autre avaient pris des engagements qui, en toute logique, auraient dû les conduire à soutenir son vainqueur dont le score à l'élection présidentielle a été très médiocre. La situation de l'ancien Premier ministre est éclairante. Certes, il transgresse ce à quoi il s'était engagé mais, par rapport à ses convictions profondes, il a été plus en accord avec lui-même par sa volte que s'il était allé au bout de sa solidarité avec Benoît Hamon.

Ce qui est sûr et renvoie à une apparence peu séduisante de la politique au jour le jour est que l'un et l'autre auraient pu, dû réfléchir d'emblée à l'incompatibilité de leur promesse tactique avec leur être véritable.

On a pu constater que Manuel Valls, pour des raisons qui tiennent plus à son inconfort, à sa quasi-relégation au sein de LREM qu'à une envie irrépressible de s'engager en Espagne, n'a pas terminé son chemin mais je n'irai pas, comme tant qui ne le valent pas, me moquer de son parcours. J'espère seulement qu'il ne gâchera pas le capital que, de droite ou de gauche, on lui prêtait au service de notre pays.

Édouard Philippe, lui, n'a trahi personne en l'occurrence puisque son champion Alain Juppé a été défait et qu'en forçant le trait, il pourrait faire valoir que de l'ancien au nouveau, il y a une différence de tonalité mais pas de nature.

Gérald Darmanin n'a pas fait dans la demi-mesure. Il n'a pas louvoyé pour déserter ce qui l'avait mobilisé hier pour mettre son talent au service d'Emmanuel Macron. Je lui reprocherai tout de même - parce qu'il a un zeste de mauvaise conscience - de trop cracher sur sa famille passée et d'exploiter abusivement le RN comme explication de tout.

Une fois que le pas a été franchi, que pour diverses raisons on a rejoint un autre rivage politique, qu'on a subi l'opprobre, des ricanements, des leçons de morale, il ne me semble pas choquant de vouloir en tirer bénéfice. On a apparemment fait le sacrifice de son intégrité : au moins que ce sacrifice vous profite.

Je n'irai pas tourner en dérision François de Rugy, dont on oublie un peu trop qu'il n'est pas un écologiste de fraîche date, parce qu'il s'est dit heureux de passer du perchoir à une fonction ministérielle qu'il pratiquera en donnant moins de maux de tête au Premier ministre et au président de la République.

Il y a une multitude de situations, de conjonctures, d'hésitations et d'occasions qui rendent injuste, voire simpliste, l'accusation de trahison. Je n'ai même pas besoin d'exploiter cet argument commode qui revient à soutenir que la seule trahison regrettable est celle qu'on a à l'égard de soi-même.

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08 septembre 2018 à 10:40

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