La République amnésique (3) : Chirac et l’immigration
Durant le mois d’août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, La République amnésique, de Thierry Bouclier.
De 1984 à son départ de l’Élysée en 2007, Jacques Chirac n’a eu de cesse d’empêcher toute entente avec le Front national. Sa haine viscérale de Jean-Marie Le Pen n’avait pas essentiellement une origine politique. Elle avait surtout un fondement moral. Jacques Chirac n’a jamais pu admettre que la condamnation portée par Jean-Marie Le Pen sur la politique d’immigration menée tout au long de la Ve République puisse être compatible avec les valeurs humanistes et républicaines qui étaient les siennes. Près d’un quart de siècle s’est écoulé au cours duquel l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand a flétri le rejet de l’autre ; condamné le nationalisme ; stigmatisé la xénophobie ; chanté les louanges de l’accueil, de l’intégration, du droit à la différence, de l’enrichissement mutuel. Constance de Jacques Chirac ? Pas tout à fait. Lui aussi a évolué pour finalement dépasser Olivier Besancenot sur sa gauche.
En 1984, Jacques Chirac était encore, au moins dans son discours, un homme de droite. Peut-être même plus à droite que Jean-Marie Le Pen lui-même. Le 30 octobre, il accorde un entretien au quotidien Libération. Celui-ci titre : "Chirac : le projet conservateur." À l’aune du terrorisme intellectuel que nous subissons actuellement, les propos tenus à l’époque sont effectivement très audacieux : "Le problème, c’est que depuis 1981, de très nombreux immigrés sont arrivés en France. Compte tenu de la situation économique, il y en a trop. Il faut donc que leur nombre diminue." En d’autres termes : les immigrés dehors ! Ce n’est pas tout. Le futur président de la République poursuit. À la question de savoir s’il y a un lien entre le nombre d’immigrés et la situation économique, il martèle : "Naturellement. S’il y avait moins d’immigrés, il y aurait moins de chômage, moins de tensions dans certaines villes et certains quartiers, un moindre coût social."
En quelque sorte, trois millions de chômeurs, ce sont trois millions d’immigrés en trop ! Slogan du Front national ? Non. Pensée de Jacques Chirac. Un Jacques Chirac très en verve.
Sept ans plus tard, Jacques Chirac recommence dans son célèbre discours intitulé "Le bruit et les odeurs".
Nous sommes le 19 juin 1991. François Mitterrand a été réélu trois ans plus tôt à la présidence de la République. Édith Cresson a été nommée à l’hôtel Matignon. Jean-Marie Le Pen, qui a obtenu près de 15 % des voix à la dernière élection présidentielle, occupe toujours le devant de la scène politique. Jacques Chirac, quant à lui, tente de se remettre de son échec et d’apparaître comme le chef incontesté de l’opposition. Ce soir-là, il participe à un dîner-débat à Orléans. Il aborde la question de l’immigration : "Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. C’est peut-être vrai qu’il n’y a pas plus d’étrangers qu’avant la guerre, mais ce n’est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15.000 francs, et qui voit, sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50.000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien ! le travailleur français sur le palier devient fou. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction."
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