Réforme du lycée : quand plus de liberté augmente les contraintes

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Marianne consacre une étude à la réforme du lycée en première. En se fondant sur des témoignages, l'hebdomadaire souligne l'éclatement des classes, la multiplication du nombre de professeurs, la difficulté pour un professeur principal de suivre des élèves qu'il ne connaît pas.

Sur le papier, la réforme pouvait apparaître comme un progrès : les élèves suivent un tronc commun dans sept disciplines, y ajoutent éventuellement deux options, mais la grande nouveauté consiste dans le choix de trois spécialités. Une plus grande liberté, un menu à la carte mais davantage de difficulté à établir des emplois du temps équilibrés et une moindre cohérence du groupe classe.

Selon cette étude, une minorité d'établissements ont restreint le nombre d'enseignants dans chaque classe, en proposant aux élèves des combinaisons de spécialités préétablies. Ce qui va à l'encontre de l'esprit de la réforme, mais simplifie l'organisation des enseignements et limite le nombre d'intervenants. D'autres établissements, qui offraient sans doute plus de spécialités, ont voulu jouer le jeu jusqu'au bout, quitte à augmenter les contraintes.

« »Dans certains établissements, on atteint jusqu’à 52 intervenants, c’est démentiel ! Avant, la moyenne était plutôt de 10 profs par classe, 15 maximum quand il y avait beaucoup d'options », déclare la responsable du secteur lycée au SNES, syndicat majoritaire chez les enseignants. Un professeur de sciences de la vie et de la Terre d'un lycée de la banlieue parisienne, qui exerce la fonction de professeur principal, regrette que, sur les trente élèves de « sa » classe, elle n’en côtoie directement que huit : « Il a fallu créer des groupes dans les groupes pour permettre à chacun de pouvoir suivre les enseignements de leur choix […]. On a parfois deux ou trois enseignants pour une seule spécialité. »

Difficile, dans ces conditions, d'assumer la charge de professeur principal, où l'on est censé bien connaître tous les élèves et les conseiller sur leur orientation. Et que dire des conseils de classe trimestriels ? Comment les réunir, si les professeurs sont si nombreux ? En les rendant semestriels ? En les réinventant ? Même si d'autres témoignages montrent que, dans certains lycées, cela se passe mieux – grâce, sans doute, à l'habileté du proviseur adjoint à élaborer des emplois du temps –, on peut se demander si cette réforme, destinée à moderniser le lycée et le baccalauréat, n'a pas oublié des principes pédagogiques essentiels.

Le groupe classe n'a pas été inventé pour faciliter le fonctionnement d'un établissement : il correspond à un besoin, crée une cohésion entre les élèves, noue un lien privilégié entre les élèves et leurs professeurs. D'où l'importance de sa composition. L'éclatement de la classe, en dehors du tronc commun, risque de détruire cette proximité. Quant au tronc commun, souvent assimilé à l'égalité (comme si le collège unique avait été un succès !), il risque fort d'être un prétexte pour emplir les classes au maximum.

Cette réforme pourrait donc accentuer encore les inégalités, en fonction de la politique de l'établissement et du savoir-faire de son administration. Certains tricheront, pour le bien des élèves, en maintenant des classes d'excellence, en reproduisant les filières qui n'existent théoriquement plus. D'autres, les plus nombreux, appliqueront avec zèle les instructions qu'on leur donnera et l'on assistera, inéluctablement, à un nouveau déclin de l'enseignement... au nom de la liberté et de l'égalité.

Nos gouvernants ne s'en inquiètent guère : ils rêvent d'une société où des exécutants fidèles accomplissent, sans trop se poser de questions, les tâches qu'une petite élite leur commande.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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