Quand le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés s’inquiète des « murs législatifs »

Un rapport, corédigé en mars 2021 par trois centres européens indépendants, concluait à « l’emmurement du monde », pour reprendre la formule de Damien Simonneau, chercheur au Collège de France et auteur de L’Obsession du mur. De fait, les chiffres sont éloquents : de six murs, en 1989, nous sommes passés à près de 63 murs physiques aux frontières des États aujourd’hui, dit ce rapport.

Si ces vingt dernières années « ont même été particulièrement prolixes en murs et autres clôtures électrifiées », il faut en outre remarquer que l’objectif a changé depuis le siècle dernier. En effet, quand le mur de Berlin « avait pour vocation d'empêcher les habitants du bloc de l'Est de fuir, ces nouveaux murs servent davantage à en empêcher d'autres d'entrer ».

Si l’on a beaucoup glosé sur le mur « Trump » à la frontière mexicaine, oubliant au passage qu’il n’en était pas l’initiateur, on s’est gardé de dire que l’Union européenne n’est pas en reste : « 1.000 kilomètres de murs ont été construits le long de ses frontières durant ces vingt dernières années » quand les fameux accords de Schengen faisaient recette sur la libre circulation des personnes. L’immigration illégale et massive est passée par là et le conflit actuel à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne tend à prouver que nous ne sommes probablement qu’au début de cet « emmurement » du monde occidental.

Ces faits apportent d’ailleurs une lumière particulière sur les propos de Filippo Grandi, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, qui dit s’inquiéter des « murs législatifs » que les pays de l’Union européenne veulent ériger contre les migrants.

Interrogé par le journal Le Monde au sujet de cette crise, il appelle à la « dédramatisation » de la question des migrants. « Le thème de la migration a besoin d’être dédramatisé. La politisation de ce sujet ne sert à rien, bien au contraire », dit-il. Un point de vue qui vaut certes sur le papier ou dans le bureau d’un haut fonctionnaire international, mais qui semble peu coller aux réalités du terrain. Certes, sans doute a-t-il raison lorsqu’il estime que « le sort de ces quelques milliers de personnes [me] semblait gérable, sans panique et sans l’idée que seuls la construction de murs et le refoulement seraient des solutions », raison quand il souligne que l’instrumentalisation des migrants « ne résout rien et démontre, en outre, la vulnérabilité de l’Europe. Ce qui ne fera qu’encourager ceux qui veulent exploiter cette faiblesse ». Il n’en reste pas moins que, oui, la question est politique. Elle n’est même que cela.

Du haut de sa tour d’ivoire, loin de la boue des campements et des émeutes de la misère, le haut-commissaire déplore que « des courants politiques poussent pour restreindre l’espace d’asile en prenant comme justification ce qui se déroule aujourd’hui à la frontière polonaise » car, dit-il, « cette érosion et la restriction de l’accès à des personnes réellement en demande de protection internationale sont très inquiétantes et contraires aux valeurs proclamées par l’Union ».

« Un véritable débat de fond sur la migration est-il encore possible aujourd’hui ? », lui demande le journaliste du Monde, ce qui ne manque pas de sel quand on sait à quel point la question a toujours été taboue dans le quotidien qui prétend incarner la vertu républicaine… « La politisation et la stigmatisation l’ont rendu toxique », répond Filippo Grandi. « On n’admet plus que la migration est nécessaire, pour différentes raisons. La migration économique doit être réglementée, et plus elle sera gérée, plus la migration irrégulière se réduira. Cette bonne gestion ferait aussi que le canal de l’asile ne serait plus le seul que des gens voulant migrer pourraient utiliser. »

C’est la voie du bon sens, celle prônée depuis des décennies par ces politiciens que Le Monde et M. Grandi ne veulent pas voir. Hélas pour nous, il semble qu’il soit bien tard pour y songer.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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