Quand la grande distribution « acte le déclassement de la société française »…

supermarché

Aujourd’hui, il n’est plus besoin de lire les essais de Jérôme Fourquet pour voir que la France est devenue un archipel dont les îles ne se toisent plus que de loin ; sortir de chez soi suffit. Comme si les Français n’avaient même plus, à défaut de sentiment d’appartenance commune, envie de vivre ensemble.

Le monde de la grande distribution, à son habitude, ne s’y est pas trompé ; même si, comme de la poule et de l’œuf, on ne sait, à l’instar de la publicité, si elle prescrit les grandes tendances sociétales ou se contente de les accompagner. Les Échos du 16 novembre ne font donc que constater cet état de fait : « Carrefour acte le déclassement de la société française. »

Il est vrai qu’il fut un temps où les supermarchés étaient un peu comme les immeubles haussmanniens de Paris. Dans les uns, les plus aisés n’achetaient pas les mêmes produits que les moins fortunés. Dans les seconds, les riches logeaient en bas et les pauvres en haut. Mais au moins, dans ces deux cas de figure, tout le monde se côtoyait en permanence.

Ainsi Carrefour entend-il désormais décliner la stratégie qu’il avait naguère initiée au Brésil avec son enseigne low cost Atacadao. Et le quotidien du monde des affaires de synthétiser la chose en ces termes : « La France du cœur des grandes villes, celle des cadres et CSP+, se fournira dans les supermarchés de proximité, les magasins bio, se fera livrer, parfois en quinze minutes, grâce aux acteurs du "quick commerce", celle de la périphérie, des classes modestes, des habitants de la grande banlieue, des populations issues de l’immigration, celle des zones rurales désindustrialisées ira aujourd’hui chez Atacadao comme elle se rend aujourd’hui chez les hard-discounters allemands, Lidl et Aldi. »

Voilà qui n’est ni gentil ni méchant. C’est juste un constat. Un constat consternant, mais que quiconque, en faisant ses emplettes en grande surface ou en supérette, a déjà fait depuis belle lurette : invasion des marques de distributeur en têtes de gondoles, alors que leurs homologues traditionnelles sont reléguées en haut ou bas des rayons. Pour acquérir ces dernières, il est fortement conseillé de sauter haut ou de ramper bas… Sans oublier les promotions sur des produits bas de gamme et la vente de ceux flirtant avec la date de péremption.

Les moins optimistes appelleront cela de la décroissance, les plus pessimistes de la paupérisation. Mais au-delà de l’ajustement stratégique de ces grandes enseignes, largement responsables de la mort de nos centres-villes et de l’enlaidissement de leurs alentours, voilà qui en dit beaucoup sur l’éclatement plus haut évoqué de notre société.

En effet, les modes de consommation sont une chose, tout comme l’endroit où l’on habite, mais ne font que distendre un peu plus le peu de lien qui nous unissait encore. Sans sombrer dans une nostalgie vide de sens – ce qui a été ne le sera plus –, il fut une époque où tous les Français, ou presque, allaient voir chaque année le nouveau film de Belmondo, où à chaque fête de fin d’année la nation quasi entière communiait devant La Grande Vadrouille, devant la télévision, où le football était encore symbole d’unité, avant que notre équipe « black-blanc-beur » de 1998, slogan se voulant fédérateur mais qui n’était que diviseur, ne vienne fragiliser davantage une société qui n’en avait pourtant pas besoin.

Même la musique n’est plus la rassembleuse qu’elle fut, quand le rock était celle des jeunes, en opposition à celle des vieux. Désormais, elle est devenue marqueur social et culturel : dis-moi ce que tu écoutes et je te dirai où tu es né et combien tu gagnes.

Nous en sommes là et Carrefour ne fait malheureusement que suivre – et accompagner – cette valse triste.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

28 commentaires

  1. >>> même si… on ne sait… si elle prescrit les grandes tendances sociétales ou se contente de les accompagner. <<<

    Dans tous les cas, les états-majors de la grande distribution sont trop liés humainement et financièrement au capitalisme exclusivement financier pour ignorer les tendances initiées par ce dernier.
    Et comme les tendances en question contribuent (pour le moment du moins) à faire leur fortune, il serait surprenant qu'ils y soient opposés. (Cf. : d'une part, le soutien à la connivence affairiste sino-occidentale sur la répartition des rôles production/distribution et d'autre part, l'adaptation des grands groupes au phénomène de paupérisation par la dispersion de magasins de taille moyenne se rapprochant du consommateur de base.)
    Bref ! A court et moyen terme, ce n'est certainement pas sur l'influence de la grande distribution que nous allons pouvoir compter pour redresser notre économie nationale.
    Et comme après il sera trop tard …

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