Quand Emmanuel Macron instrumentalise de Gaulle…
L'émission spéciale consacrée au colonel de Gaulle et à son offensive trop vite avortée de Montcornet m'a intéressé. Le président de la République a rendu hommage à l'esprit français de résistance, au courage des soldats de 1940 et au génie d'anticipation de De Gaulle.
Discours du chef de l'État à la fois pour saluer l'Histoire et l'une de ses pages exemplaires mais aussi pour éclairer, plus qu'allusivement, le présent et nous persuader qu'il y aurait quoi que ce soit de commun entre les vertus célébrées et pratiquées il y a des lustres et la France telle qu'elle est présidée actuellement.
C'est là où le bât blesse et même offense.
Certes, même si la France a la passion des commémorations ou le masochisme des repentances, il est difficile de reprocher au président de la République d'avoir voulu une telle cérémonie qui, s'attachant à un épisode peu connu, mettait en évidence un de Gaulle avant la mythologie de la suite. De plus, l'intervention d'Emmanuel Macron a été belle, sans trop d'enflure et, pour une fois, d'une durée raisonnable.
Il n'empêche que je n'ai pas pu m'empêcher de penser que de Gaulle était assez régulièrement instrumentalisé, sorti de la gangue de l'Histoire, pour combler un vide. Il mettait de la majesté là où on en manquait et laissait espérer un consensus autour de l'hommage qui lui était rendu.
On a très vite senti à quel point le Président, s'il était passionné par le passé historique et militaire pur - il se l'est fait expliquer en détail -, l'était bien davantage par les enseignements que, selon lui, on devait en tirer pour le présent.
Et qu'il choisissait évidemment, au regard de la situation de la France non seulement confrontée à l'épidémie mais divisée dans ses profondeurs, un pays pour lequel l'esprit de résistance et l'exigence de l'union étaient plus que jamais nécessaires.
Mais comment n'être pas gêné par cette volonté de chercher artificiellement et à tout prix, alors qu'un gouffre existe entre de Gaulle et Emmanuel Macron et ses rivaux potentiels, des similitudes entre notre monde et une période et une personnalité d'exception ?
Comme si on s'imaginait qu'une lumière et une gloire anciennes pouvaient venir vivifier, par une sorte de décret d'autorité, par contagion, la médiocrité qui nous accable, le désenchantement qui nous blesse, l'absence d'espoir qui nous démoralise.
Je ne voyais pas d'arrogance historique de la part du Président quand il rappelait de Gaulle, Montcornet et le courage des soldats français de 1940. Il ne se plaçait évidemment pas dans cette lignée épique et, sur ce plan, je ne doutais pas une seconde de sa modestie, de sa lucidité.
Mais ce qui était cousu de fil partisan derrière les grands mots, qui voulaient être autant de leçons, d'incitations pour notre peuple à refaire confiance au Président, relevait d'une tactique visant à s'abriter derrière une gratitude historique pour nous glisser une musique politicienne. La commémoration ne concernait pas seulement de Gaulle mais Emmanuel Macron dans son ombre, si longtemps après.
En ce sens, cette cérémonie qui avait de l'allure a pourtant été manquée. Il me semble qu'on n'abuse pas de De Gaulle impunément.
De Charles de Gaulle à tous nos Présidents - même François Mitterrand, qui ne l'avait jamais aimé mais s'est coulé avec délices dans les habits de la Ve République, même Jacques Chirac gaulliste une seule fois avec le refus irakien -, il y a une paresse française.
Plutôt que de développer une vision politique nationale et internationale conforme aux lignes de force du gaullisme - en tenant compte, parfois, de son pragmatisme efficace et cynique et de sa détestation des partis -, parce que l'exercice serait trop difficile, voire impossible, on invoque la figure de De Gaulle, on la loue, on l'honore, on commémore. La pompe du verbe cache mal l'abandon de la pratique. On se dit qu'il est inconcevable d'agir comme lui.
Puisqu'il était unique.
Et on passe à autre chose. À une France qui ne s'aime plus vraiment. Parce que le pouvoir ne lui donne plus assez de preuves d'amour.
De Gaulle, c'était aussi du lyrisme, mais opératoire.
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