L’Ordre des médecins, donneur de leçons, sévèrement admonesté par la Cour des comptes

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Gestion opaque, conflits d’intérêts, favoritisme : la liste des griefs formulés par la Cour des comptes à l’égard de l’Ordre des médecins en dit long sur cet organisme moralisateur.

Fondé par ordonnance en 1945, l’Ordre des médecins est chargé de veiller à la déontologie et à la discipline de la profession. Aussi, les praticiens sont-ils autorisés à attendre de ce censeur une conduite irréprochable. Or, si l’on en croit le dernier rapport de la Cour des comptes, paru en décembre 2019, la réalité est dramatiquement différente. Déjà épinglé, en 2012, pour l’opacité de sa gestion, l’Ordre n’a, non seulement, pas rectifié le tir, mais son cas s’est sévèrement aggravé, à en croire les rapporteurs de la rue Cambon.

Un ordre très riche et une comptabilité à l’emporte-pièce. Riche d’un patrimoine immobilier important, avec une dizaine de SCI, d’un budget annuel d’environ 85 millions d'euros et d’une réserve financière de 152 millions d'euros, l’Ordre a visiblement du mal à tenir une comptabilité transparente. Dans les départements, on nage en pleine confusion. Celle de plusieurs d’entre eux est absente, quand elle n’a pas « été détruite avant le passage de la Cour. […] Les cotisations des médecins font l’objet d’une comptabilisation irrégulière et incomplète, ce qui participe de l’insincérité des comptes », soulignent les rapporteurs, avant de rajouter : « Les écritures comptables sont souvent approximatives et peuvent être entachées d’erreurs, voire délibérément faussées comme la Cour a pu le relever parfois. » Quant à l’examen des gestions départementales, il est soumis « à une commission de contrôle composée d’élus parfois eux-mêmes responsables, au niveau local, de désordres, voire d’irrégularités ». Cette absence de contrôle, dans les départements comme au niveau national, a permis que soient tolérés, outre des achats coûteux effectués sans mise en concurrence, de fréquentes dépenses étrangères aux missions de l’Ordre.

Des rémunérations au petit bonheur la chance

La Cour relève aussi des rémunérations et des primes très aléatoires. En certains départements, elles sont très « avantageuses », pour employer le terme teinté de mesure de la Cour. Dans d’autres, on est très en deçà de la norme. Ajouté à cela, un népotisme qu’on ne prend même plus soin de camoufler : « La gestion des ressources humaines doit être professionnalisée, tant sont grandes les disparités de rémunérations et d’avantages sociaux. Il convient de mettre fin définitivement à la pratique des recrutements favorisant les liens familiaux. »

Une grande mansuétude à l’égard des conflits d’intérêts

Très sévère dès qu’il s’agit de morigéner les praticiens qui s’écartent du discours officiel, comme les professeurs Raoult (sans pour autant, le citer, dans un communiqué publié la semaine dernière), Debré et Even ‒ pour n'évoquer que trois exemples médiatisés ‒ ont pu le constater, l’Ordre est, en revanche, d’une mansuétude déconcertante en ce qui concerne les conflits d’intérêts. « Le contrôle du respect, par les médecins, des règles déontologiques de la profession, qui est la raison d’être de l’Ordre, n’est pas exercé de manière satisfaisante : les conventions que les médecins concluent avec l’industrie pharmaceutique et qui doivent être obligatoirement transmises aux conseils départementaux de l’Ordre ne sont pas examinées par ces derniers. » La Cour cite l’exemple d’un professeur de CHU qui, en deux ans, a signé 82 conventions pour un montant de 726.000 €, tandis qu’un pneumologue a participé à onze congrès internationaux, invité par des sociétés spécialisées dans les dispositifs médicaux respiratoires. « Ces exemples montrent combien l’absence de vision globale des avantages reçus par un praticien est problématique pour apprécier les risques de perte d’indépendance encourus par les médecins », ajoutent les rapporteurs.

Le plus décourageant, dans cette histoire, c’est que l’Ordre des médecins est ainsi chapitré depuis près de vingt ans sans que rien n’y fasse. « Malgré la médiatisation de plusieurs procédures où l’Ordre a été mis en cause pour avoir retardé la condamnation de médecins fautifs, la situation n’a guère évolué », regrette la rue Cambon, qui conclut : « Le nombre élevé des dysfonctionnements […] conduit à dresser un constat préoccupant du fonctionnement et de la gestion de l’Ordre ainsi que de l’exercice des missions qui lui sont confiées par la loi. »

De son côté, l’Ordre a pris l’engagement « de remédier à certains manquements constatés lors du contrôle ». Nous voilà rassurés.

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