[L’œil américain] Affaire Epstein : l’oligarchie du vice
Il y a quelque chose de pourri au royaume des puissants. Non pas la perversité, qui se distribue indifféremment à tous les niveaux de l’échelle sociale, mais l’impunité. Lorsque la puissance vire au sentiment de toute-puissance. Lorsqu’on pense appartenir à un monde auquel ne s’applique pas la loi commune. Lorsque l’argent permet, avec l’aval de la Justice, de faire taire les victimes.
L’affaire Epstein ne raconte pas seulement le parcours d’un prédateur sexuel dans l’Amérique des rich and famous. Elle montre également comment le milliardaire a su jouer de la fascination qu’exerçait sur ses proies ce monde inaccessible et comment il a su exploiter chez ceux qui lui appartiennent la tentation de s’affranchir de toute limite et de toute conscience morale.
L’homme d’affaires new-yorkais a bâti un vaste réseau de trafic sexuel impliquant des jeunes femmes et des jeunes filles mineures afin de satisfaire ses perversions mais aussi en comprenant qu’il pourrait se servir d’elles pour favoriser son ascension sociale en les mettant à disposition de personnes influentes. Parmi les célébrités qu’il a fréquentées, qui s’est rendu complice de ses crimes ? C’est toute la question.
De nouveaux documents divulgués
Elle resurgit aujourd’hui, un peu plus de quatre ans après son suicide dans une cellule de la prison fédérale de Manhattan alors qu’il attendait son procès. Mercredi dernier, un juge de New York a commencé à rendre publics des documents judiciaires mentionnant les noms de proches, de connaissances, de victimes ou de complices présumés de l’homme d’affaires.
Les documents sont issus d’une action en diffamation intentée en 2015 par Virginia Giuffre, une des victimes présumées, contre Ghislaine Maxwell, ex-maîtresse et rabatteuse d’Epstein. Bien que l’affaire se soit terminée l’année suivante, le journal Miami Herald avait agi en Justice afin d’avoir accès au dossier. Une partie des documents avait par la suite été descellée.
Les nouveaux lots qui viennent d’être rendus publics n’ont pas donné lieu à des révélations fracassantes. La plupart des personnes mentionnées étant déjà connues. C’est, d’ailleurs, l’argument retenu par le juge chargé de l’affaire, qui a souligné que les noms des protagonistes avaient déjà été divulgués publiquement à l’occasion d’autres procédures et dans les médias.
Des noms déjà cités
Pour autant, cette nouvelle médiatisation n’est pas sans faire trembler certains qui auraient bien aimé qu’on oublie qu’ils avaient un jour croisé le détestable personnage. Parmi eux, le prince Andrew, que Virginia Giuffre avait accusé d’avoir abusé d’elle à plusieurs reprises alors qu’elle était mineure. En 2022, une transaction avait mis fin aux poursuites.
Dans l’un des nouveaux documents judiciaires descellés, un témoin anonyme, appelée « Jane Doe 3 » (John et Jane Doe désignent une personne non identifiée) déclare avoir été « contrainte d’avoir des relations sexuelles avec ce prince alors qu’elle était mineure dans trois lieux géographiques distincts ». Et notamment « sur l’île privée d'Epstein dans les îles Vierges américaines (lors d’une orgie avec de nombreuses autres filles mineures) ». Le frère de Charles III a régulièrement nié les allégations portées contre lui.
Autre célébrité évoquée, Bill Clinton, dont le porte-parole avait déclaré en 2019 qu’il ne savait rien des « terribles crimes » de Jeffrey Epstein. Bien qu’aucun acte répréhensible ne soit retenu contre lui, sans doute se serait-il, lui aussi, passé de cette nouvelle publicité. Son nom refait en effet surface des dizaines de fois dans les documents. Une victime présumée, Johanna Sjoberg, rapporte qu’Epstein lui aurait un jour confié que « "Clinton les aime jeunes", faisant référence aux filles ».
Donald Trump est également mentionné comme une connaissance d’Epstein, mais sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. En 2019, au moment de l’arrestation de l’homme d’affaires, Trump avait affirmé ne pas lui avoir parlé depuis environ 15 ans. « Je n'étais pas fan de lui, je peux vous le dire », avait-il déclaré.
Comme l’explique au Figaro Madame le journaliste Jean-Gabriel Fredet, auteur d’un livre sur Epstein, « Donald Trump a su prendre ses distances au bon moment ». « Au début des années 2000, il se voit déjà faire de la politique. Alors, en interview, il joue la carte de la prudence. Il dit de Jeffrey Epstein : "Il est brillant, il est drôle, il aime beaucoup les femmes, mais lui les préfère plus jeunes." Il sait très bien ce que signifie "plus jeunes". »
Dans les différents lots de documents, d’autres noms d’amis et de connaissances célèbres apparaissent, comme Michael Jackson, le magicien David Copperfield ou encore le physicien Stephen Hawking, sans pour autant contenir d’affirmations de conduites répréhensibles les concernant.
Une impunité persistante
Une enquête du Wall Street Journal, publiée en décembre dernier, a cependant montré comment Epstein s’était servi de son cercle de VIP pour séduire des jeunes femmes vulnérables et, en sens inverse, les avait utilisées pour attirer à lui des gens puissants.
« Il a attiré des dizaines de femmes en promettant d'utiliser ses relations avec des personnes puissantes pour leur trouver un emploi ou d'autres opportunités, relatait le quotidien américain. Il a ensuite formé la plupart de ces femmes afin de les exploiter sexuellement et a confié un groupe d’entre elles à d'autres hommes pour des relations sexuelles. »
Plusieurs femmes qui se sont confiées au Wall Street Journal ont indiqué ne pas avoir dénoncé Epstein de peur des conséquences. La peur, la honte, mais aussi les millions de dollars versés pour les faire taire, maintiennent dans l’ombre nombre de victimes ainsi que ceux qui ont abusé d’elles. Les documents divulgués, pour le moment, n’y changent rien.
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18 commentaires
Pas étonnant qu’Epstein ait été suicidé !