Livre : Voyage d’un avocat au pays des infréquentables, de Nicolas Gardères
Se prétendre tolérant est une chose. L’être vraiment en est une autre. C’est un peu comme l’amour et les preuves d’amour. Nicolas Gardères, avocat de profession et tolérant proclamé, mérite, ne serait-ce que par la publication de son essai, Voyage d’un avocat au pays des infréquentables, de s’asseoir, justement, à la table des gens manifestement aussi fréquentables que lui, de son camp politique ou non.
Pourtant, Nicolas Gardères, coutumier du plateau du "Bistro Libertés", animé par Martial Bild et l’impavide humeur qu’on lui connaît, déteste tout ce qui peut ressembler, de près ou de loin, aux idées des « fachos ». Tout en faisant preuve d’une empathie, non feinte, vis-à-vis des mêmes « fachos ». Comme quoi cet athée n’hésite pas – mais le sait-il seulement, ce brave gars ? – à emprunter au vocabulaire clérical, voulant que ce soit le péché que l’on condamne et non point le pécheur.
Pour tester, non pas forcément le bien-fondé de sa feuille de route, mais au moins sa solidité, il suffit de se rapporter aux longues pages consacrées à la défense de Serge Ayoub, maudit parmi les maudits, à l’occasion de la mort d’un « antifa », un gamin, Clément Méric. La défense de Serge Ayoub, il l’assure à la fois contre la voix de sa corporation, parfois frileuse, mais surtout contre des clopinettes. Tout comme il s’occupe de celle de Riposte laïque, pour un budget à peine moindre. Et défend les intérêts de la Ligue de défense judiciaire des musulmans ; ce qui n’a pas, non plus, contribué à l’enrichir…
Le seul point commun à ces clients aux plans de vie parfois contradictoires ? Celui d’une liberté d’expression totale ; ce qui ne participe pas exactement des élégances sociétales du temps.
Européiste revendiqué, libéral convaincu, adhérent à EELV, Nicolas Gardères affirme pourtant, à l’occasion d’un entretien accordé au Point, le 12 décembre 2018 : "Je ne supporte pas la démocratie lacrymale. Nous oublions nos grands principes parce que nous sommes angoissés à l’idée que des gens pleurnichent. Ce n’est pas ça, la démocratie. La démocratie, c’est l'affrontement, le conflit, l’impératif dialogique. La liberté d’expression, ce n'est pas seulement Voltaire et Rousseau qui se castagnent. La démocratie, c’est aussi des connards qui ont le droit de s’exprimer au coin de la rue ou sur Internet."
"Les fachos" font éminemment partie de ses ennemis politiques. Mais l’auteur assure en parallèle qu'ils peuvent aussi être des chics types, et même des gens dignes d’estime. De son passage à TV Libertés, il rappelle qu’Alain de Benoist est, lui au moins, un "intellectuel", Bruno Gollnisch, un homme "cultivé". Quant à votre serviteur, qualifié "d’anarcho-catho-punk d’extrême droite", je profite de l’occasion pour signifier à ce gandin que je préfère de loin le blues au « punk » et le roi à « l’extrême droite ». Mais va en paix, mon frère, on ne va pas non plus ruiner notre déjà vieille complicité pour des queues de cerise.
Car c’est ainsi que Nicolas Gardères est grand : dans son jusqu’au-boutisme libertaire, posture crânement assumée, à rebours de toutes les impostures contemporaines. Car ce beau parleur ne fait pas semblant. Son argumentation en faveur de la liberté d’expression ? Ce n’est pas du chiqué. La belle langue française, si française, grâce à laquelle il file celui de sa pensée, dans ce livre magnifiquement écrit ? Elle est parfaitement assumée ; on imagine qu’il s’interdit de laisser l’amour de Vaugelas aux « fachos ». Il a bien raison. Quant à l’amour porté à son grand-père lepéniste, manifestement un peu brut de décoffrage ? Il la revendique tout autant. Classieux.
Bref, si tous les mecs de gauche étaient comme lui, on n’aurait même plus le besoin de se dire de droite.
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