[Littérature] Ségurant le Brun, héros arthurien retrouvé

Ségurant (BnF. Bibliothèque de l'Arsenal. Ms-4976. Fin du XVe siècle.)
Ségurant (BnF. Bibliothèque de l'Arsenal. Ms-4976. Fin du XVe siècle.)

Vous ignoriez probablement l’existence de Ségurant, « le chevalier au Dragon ». Et pour cause : il avait disparu, comme par un de ces enchantements dont était prodigue la « matière de Bretagne » - tout ce fonds originel de légendes et de récits celtiques transfusé dans la littérature médiévale. À vrai dire, Ségurant est une création tardive en ce domaine, puisqu’il naît dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Il illustre la vitalité de ce courant littéraire. Les écrivains s’autorisent développements, reprises, modifications, compilations… et créations de personnages.

Ayant connu un certain succès, mais pas au point de s’imposer comme un personnage central, Ségurant sombre dans l’oubli au XVIe siècle. Son histoire est morcelée dans des manuscrits, éparpillée façon puzzle dans des recueils. Partant d’un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal, Emanuele Arioli, chartiste de formation, a parcouru les bibliothèques européennes pour rassembler les fragments et renouer le fil conducteur du récit, dont la traduction paraît aux Belles Lettres. L’histoire se présente à nous avec des lacunes, des histoires complémentaires, plus ou moins compatibles - comme il sied à la vie d'un héros que divers auteurs modelèrent à leur guise sans trop se soucier de la cohérence.

La grande joute de Winchester

Né dans une famille de chevaliers, Ségurant est aussi fort que courageux - au point que le roi Arthur en vient à penser que c’est lui qui achèvera la quête du Graal. Comme le genre l’exige, le récit n’est pas avare de lances brisées, d’écus fendus et d’adversaires défaits par centaines et qui repartent démantibulés. Une particularité de Ségurant : il aime prendre la place de la quintaine et s’offrir comme cible… contre laquelle viendront se briser ses pairs.

Un des points forts du récit est la joute à Winchester, à laquelle assistent Arthur et Guenièvre, accompagnée de quarante dames et demoiselles de haut lignage, dont la dame du Pont Petit, belle entre toutes, sans oublier le roi de Galles et le roi d’Irlande. La fête va être gâchée par les enchanteresses Morgane et Sibylle. Ségurant poursuit sans trêve un dragon qu’il croit réel mais qui est en fait une illusion diabolique. Il se perd dans cette chasse, disparaît à jamais. Des récits tardifs le font roi lointain, en Orient.

La mystérieuse île Non Sachante

Notre héros rencontre Arthur mais ne se rend pas à sa cour. Il se bat avec Lancelot, sympathise avec l’impertinent Dinadan et prend sous son aile le jeune Golistan, qui cherche à se faire adouber chevalier pour tuer Tristan - pas moins… Golistan veut venger son père, le géant Morholt, que Tristan a mortellement blessé en combat singulier.

Si le Morholt est mort, le récit ne manque pas d'autres géants, hargneux. Et d’ermites, accueillants, pas toujours courageux. La classique forêt enchantée participe à l’intrigue : tous les codes sont respectés. Une des originalités du récit est l’île déserte, Non Sachante, sur laquelle le grand-père de Ségurant et son frère, naufragés, se réfugient avec l'équipage. Ils récupèrent le bois et les clous du bateau, construisent une maison et s’organisent : les nobles chassent, les marins font du cidre avec les petites pommes sauvages qu’ils récoltent. Ce sont les premiers Robinson Crusoë de notre littérature. L’île Non Sachante, c’est-à-dire « l’île inconnue » ou « l’île vierge », sera colonisée et urbanisée.

Un maillon manquant

Car si les combats sont violents et que des têtes roulent au sol, la civilisation est bien présente. Ainsi, lorsque le seigneur Hoderic héberge Ségurant dans une chambre « où étaient admirablement peints bêtes et oiseaux, chevaliers et dames », et lui fait servir le lendemain matin - sans oublier le bassin pour se laver les mains - un paon rôti, une pâtisserie « blanche comme neige fraîche » et du très bon vin.

Il faut dire que l’une des caractéristiques de Ségurant est son appétit : certains protagonistes l’identifient grâce à cela. Annonçant le Roland furieux ou Don Quichotte, il y a une légère dimension comique dans l’histoire de Ségurant qui prend ses distances « par rapport à l’amour courtois et aux valeurs chevaleresques », écrit Emanuele Arioli. Cela fait de Ségurant « l’un des chaînons manquants de l’histoire du roman européen ». Une raison de plus de lire ce récit réchappé de l’oubli.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

2 commentaires

  1. C’est très bien ! Retrouvons enfin le sens de notre histoire, de notre culture et de notre littérature ! Amitiés à tous Hervé de Néoules !

  2. Morholt , le père de Ségurant, est un guerrier irlandais qui exige le tribut au roi March’ de Cornouailles jusqu’à ce qu’il soit tué par Tristan. Ségurant est donc irlandais bien que son nom soit plutôt occitan.

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