Lettre d’Alger – Dans le vide institutionnel, la tentation soudanaise…
Il fait, à Alger, 15 °C de moins que sur le sud de la France. Les vents brûlants du Sahara sautent par-dessus les Aurès et vont retomber, 800 km plus loin, sur la Provence et le Languedoc... Cette clémence climatique entretient la détermination des manifestants selon un cycle obstiné, avisé, et désormais installé. Le samedi, les intellectuels se réunissent pour faire le point politique et tactique, le mardi les étudiants et leurs professeurs manifestent, rodant les slogans revendicatifs, et le vendredi d'imposantes foules occupent le centre des villes en scandant les mots d'ordre bien rodés : c'est le « hirak » (mouvement) .
Les opposants ont fini par s'organiser en deux collectifs (la société civile et les partis d'opposition) demandant tous deux la démission des caciques du système, une véritable transition démocratique, une Constituante .
En ce qui concerne les démissions des dignitaires de l'ancien régime, ils en ont déjà obtenu quatre dont, ce mardi 2 juillet, celle de Mouad Bouchareb, président du FLN et de l'Assemblée nationale. Mais auparavant, la population avait obtenu le report de l'élection présidentielle, le départ du président Bouteflika, le report sine die de l'élection, la démission de l'ancien Premier ministre désormais en prison (Ahmed Ouyahia), celle de Tayeb Belaiz de la présidence du Conseil constitutionnel. Seuls demeurent, mais de plus en plus vigoureusement contestés : le nouveau Premier ministre depuis trois mois Noureddine Badaoui, le très contesté (par la rue) Abdelkader Bensalah, chef d'État intérimaire, et le chef de l'état-major de l'ANP, le général de 80 ans Gaïd Salah. Or, ce dernier s'est progressivement auto-attribué de plus en plus de pouvoirs, dont il use et abuse de façon très maladroite. Le discours simple et obstiné du général tient en quelques mots : la Constitution doit être respectée, l'opposition doit s'organiser, l’élection présidentielle doit avoir lieu rapidement, l'armée doit être respectée et les autonomistes doivent être mis au pas.
Or, l'opposition s'est organisée et la Constitution est muette sur la situation politique inédite qui prévaut désormais en Algérie depuis que le Conseil constitutionnel a constaté que le scrutin du 4 juillet ne pourrait avoir lieu, faute de candidats présentant les conditions. Pourtant, l'esprit de la Constitution, notamment ses articles 6 et 7, permet une issue logique et vertueuse : « Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne. Le peuple l'exerce par voie de référendum et par l'intermédiaire de ses représentants élus. Le président de la République peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple. » La solution est là mais le vieux général n'en veut pas.
Il recourt à des expédients de plus en plus artificiels et brutaux. Il évoque la main de l'étranger, interdit les drapeaux berbères (30 à 40 % des Algériens), ferme l'accès à la Grande Poste, lieu historique des manifestations, barre les routes qui mènent de l'est et de l'ouest vers Alger, incarcère à tour de bras les minorités ethniques et religieuses, chrétiens (2 ou 3 %, en augmentation) et ibadites. Le Dr Fekhar, un Mozabite, est mort en prison et la population a été scandalisée par l'arrestation, le 29 juin, de Lakhdar Bouregaâ, une gloire de la guerre d'indépendance qui avait osé critiquer le général atrabilaire. Car l'outil pénal algérien offre des possibilités de répression et il est utilisé avec de plus en plus de brutalité.
Le prosélytisme anti-musulman est puni de prison (le seul fait d'avoir plus d'un évangile sur soi a été jugé constitutif du délit), le fait d'avoir un drapeau berbère est un délit, voire un crime de séparatisme, et les critiques contre un officier supérieur passibles de dix ans de prison, voire de la peine de mort (en tant « qu'atteinte au moral de l'armée »). Cette armée, justement, semble pour le moment soudée (ou inquiète) : jusqu'à quand ? Ne sera-t-elle pas, à terme, le levier qui répondra à la demande populaire et dévissera les deux derniers boulons rouillés du système détesté ?
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