Le ver est dans la pomme

Tous les matins, en allumant mon MacBook, je prends bien garde de ne manquer aucune mise à jour. Chez Apple, elles sont monnaie courante - et s’il veut continuer à jouir de l’utilisation de son ordinateur, le client doit forcément les accepter.

La présentation de la toute dernière mise à jour, baptisée macOS Big Sur, m’a immédiatement fait tiquer : « Le système d’exploitation le plus avancé au monde repousse une nouvelle fois les limites. Encore plus de puissance. De nouvelles fonctionnalités. Une transparence accrue sur la protection de votre vie privée. Vous allez l’adorer. »

En apparence, que du bonheur, comme dirait l’autre ! Mais creusons un peu et voyons ce qui se cache derrière chacune des avancées technologiques célébrées.

Une vie privée… sous très haute surveillance

En général, les formules plus de puissance et plus de vie privée ne font pas bon ménage ! En y regardant de plus près, on se rend compte rapidement qu’Apple a le projet de vampiriser ses utilisateurs. De prime abord, leur puissant moteur de recherche Safari est censé, en toute bienveillance, " utiliser la prévention intelligente du suivi pour identifier les traqueurs et les empêcher d’établir votre profil et de vous pister " . En réalité, le super-traqueur, c’est lui ! Et vous le super-traqué ! Comment ? En contrôlant le moindre de vos messages, échanges, partages d’information, historiques de recherche — tout en présumant, bien sûr, qu’il le fait pour vous protéger : "Safari utilise la Prévention intelligente du suivi pour identifier les traqueurs et les empêcher d’établir votre profil ou de vous pister sur le Web. Cliquez sur le bouton Rapport de confidentialité dans la barre d’outils de Safari pour avoir un aperçu instantané des traqueurs intersites que Safari empêche activement d’établir votre profil sur la page web en cours de consultation. Sur votre page d’accueil, un nouveau Rapport de confidentialité hebdomadaire vous montre également les efforts que déploie Safari pour protéger votre navigation sur tous les sites que vous consultez".

Transparence totale et… totalitaire

La transparence est, pour Apple, une vertu cardinale. Sans cesse vantée, sans cesse brandie. Entre vous et votre appareil, plus aucun mur : Apple est omniscient. Il sait tout de votre existence, voit tout. Mieux, il vous transporte où vous voulez dans la grande vitrine du monde numérique, à portée de clic : « Plus besoin de voyager ! Explorer certaines villes sur votre Mac à l’aide d’une vue en 3D aussi fluide qu’immersive. Presque comme si vous y étiez. » Le monde vous est soustrait ? Pas de panique ! Il n’est plus nécessaire de le parcourir pour le connaître. Moins cher qu’un billet de train ou d’avion, non ? Dans une société confinée d’hystérie sanitaire, Apple vous enferme chez vous à double tour tout en faisant croire que vous êtes libre comme l’air. Vous voilà devenu de la chair à confinement satisfait, à revenu universel heureux et autres tyrannies de l’oisiveté !

« Parfois les mots ne suffisent pas ! »

Ce n’est pas seulement un slogan publicitaire : c’est une entreprise de démolition. L’immersion radicale dans le monde post-virtuel (de sécurité numérique factice et de confort nihiliste) semble aller de concert avec un travail acharné de démolition de la langue et de l’humanité. Une fois installée la mise à jour, Apple me propose, par exemple, de remplacer les noms et les photos de mes contacts par une nouvelle génération d’émojis, petits dessins les imitant (de manière assez bluffante, il faut dire). Première étape vers le transhumanisme ? L’abolition des mots et la domination des signes numériques en sont probablement sa première étape.

Au sein des GAFA, la marque à la pomme semble à la pointe du grand projet d’humanité 2.0. qui mettra un terme à celle ayant commencé par en croquer une, il y a bien longtemps, au jardin d'Éden.