Le financier Křetínský lâche Marianne, trop « souverainiste »

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Marianne déplaît à son propriétaire, le milliardaire tchèque Daniel Křetínský. Non parce que le magazine créé en 1997 par Jean-François Kahn et Maurice Szafran, aujourd’hui piloté par Natacha Polony, perd trois millions d’euros par an, selon Libération. Ce n’est pas la raison qu’il invoque, en tout cas. Křetínský lâche Marianne parce que la ligne du journal est devenue, selon lui, « souverainiste radicale ». On ne critique pas impunément l’Europe : c’est mauvais pour les affaires. Pour godiller en paix dans le capitalisme français où un certain Emmanuel Macron, ex-banquier d’affaires, fit florès (et fortune), on est prié de ménager la tour de Babel dantesque et destructrice qu’est devenue l’Europe.

Consensus de fer

Détenir un magazine qui serve ses idées ? Après tout, quoi de plus naturel.. Comment contraindre des apporteurs de fonds à tenir à bout de chéquier un journal dont la ligne rédactionnelle s’oppose à leurs idéaux ? La gauche et l’extrême gauche butent sur ce mur de réalité, comme sur d’autres… Lâché par Křetínský, donc, Marianne intéresse deux autres fortunes françaises : Vincent Bolloré, qu’on ne présente plus, et l’homme d’affaires Pierre-Édouard Stérin, patron d’Otium Capital, tous deux plus en phase avec le souverainisme du journal. Gageons qu’ils auront droit aux habituels cris d’orfraie d’une gauche qui s’émouvra, la main sur le cœur, qu’un propriétaire de journaux ait des idées. Si Bolloré l’emporte, alors, on fera le plein de cacahuètes pour assister au spectacle : le feu d’artifice reprendra, le tocsin sonnera et on assassinera, une fois de plus, celui qui « souffle sur les braises de la guerre civile », comme l’assure en toute mesure et objectivité le chroniqueur de France Inter et de Libération Thomas Legrand.

Le virage du milliardaire tchèque Křetínský en dit long sur le consensus de fer qui s’impose toujours dans la sphère médiatique et l’univers des affaires parisiennes. Křetínský a entrepris, en marge de ses activités industrielles, de partir à la conquête des médias français pour se donner une carte de visite en Europe.

Le bon et le mauvais patron de presse

C’est ainsi qu’il acquiert Elle et Marianne en 2018, suscitant la méfiance. Lorsqu’il touche à la vache sacrée du secteur, le groupe Le Monde, Křetínský braque soudain contre lui toutes les préventions et suscite tous les fantasmes. Dans les rédactions françaises, on redoute la taupe d’extrême droite, on soupçonne un financement russe, on gamberge sur les vraies motivations de cet inconnu au portefeuille bien garni. On se fait peur. Křetínský comprend vite qu’il va devoir montrer patte blanche dans les cercles de pouvoir s’il veut continuer à acquérir des entreprises en France. Il se range. Dans le domaine culturel, il s’offre l’empire du livre Editis, acquis auprès de Bolloré, prend 5 % du groupe TF1 et renfloue gentiment Libération tout en revendant ses parts dans Le Monde à Xavier Niel. Les portes s’ouvrent. Křetínský entre au capital du groupe Casino et du groupe Atos et s’offre des centrales électriques.

Le méchant interventionniste, c'est Bolloré

À 48 ans, ce brasseur d’affaires venu de l’Est ressemble d’assez près à d’autres propriétaires de médias français, les Bernard Arnault (Les Échos, Le Parisien...), Xavier Niel (Le Monde, le producteur de télévision Mediawan, le groupe Nice Matin, France Antilles, Mediapart…), Martin Bouygues (TF1, LCI, TMC…). Autant d’industriels qui nomment les patrons de leurs médias, financent leurs déficits et influencent évidemment plus ou moins discrètement leur ligne ou donnent leur assentiment. Pas de vagues, tout va bien. De même lorsque le milliardaire libanais Rodolphe Saadé, très très proche de Macron, rachète BFM TV, la principale chaîne d’information du paysage (plus pour longtemps, elle est rattrapée par Cnews), personne ne grince, ou si peu. Lorsque Saadé explique clairement qu’il prendra très mal qu’on dise du mal de son groupe sur les antennes de BFM et n’appréciera pas qu’on ne chante pas suffisamment ses succès, nul ne bronche… Le méchant interventionniste, c'est Bolloré, on vous dit.

Deux poids deux mesures. Ainsi, le lâchage de Marianne pour cause de « ligne souverainiste » n’entraînera pas de manifestations ni de campagnes de haine anti-Křetínský. Pas de feuilleton hostile, pas d’affichage sauvage avec le visage du financier façon « Wanted » signés Attac, comme l’association vient de le faire pour les visages de CNews. Křetínský s’est prudemment abrité sous le mur du politiquement correct. Ce mur que Bolloré démolit le plus bruyamment possible. Deux styles, deux ambitions. L’un a le souci du pays, l’autre se concentre sur l'évolution de sa fortune personnelle. La gauche préfère le second.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

24 commentaires

  1. Ce journal est devenu le porte parole du parisianisme intello-bobo. On n’y parle plus du peuple, de ceux qui gagnent leur vie à fabriquer à vendre, de l’état de la France, ceux qui élèvent leurs enfants, qui tentent d’éviter la violence et cherchent un logement. Rien que du convenu. je le reçois chaque semaine alors que mon abonnement initial est terminé depuis un an au moins. Mais je le mets à la poubelle. Le monde qui vit dans ces pages n’a pas grand chose à voir avec nous, les sans-dents.

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