La papesse Jeanne, une femme à la tête de l’Église ?

Alors que le monde entier s’apprête à voir le conclave élire le successeur du pape François, les projecteurs se braquent sur les traditions immuables, les histoires inimaginables, mais aussi les légendes et les mythes qui hantent les couloirs du Vatican. Parmi ces derniers, celui d’une femme ayant accédé à la chaire de saint Pierre en dissimulant sa véritable identité. Cette imposture si scandaleuse aurait alors même changé les rites d’accession à la papauté. Mythe populaire ou allégorie de la peur du féminin dans un monde gouverné par des hommes ? Retour sur l’étonnante histoire de la papesse Jeanne.
Une femme sur le trône de saint Pierre
La légende de la papesse Jeanne apparaît, pour la première fois, dans des écrits datant du XIIIe siècle. Selon ces œuvres, une jeune fille originaire d’Allemagne ou d’Angleterre se serait déguisée en homme pour suivre son amant. Ensemble, ils auraient voyagé jusqu’à Albion puis à Athènes, où elle aurait étudié la philosophie et la théologie. À la mort de son compagnon, Jeanne aurait rejoint Rome et gravi les échelons de l’Église en tant que clerc, puis cardinal, en cachant son identité. En 855, elle aurait été élue pape par acclamation populaire. Pendant deux ou trois ans, elle aurait dirigé l’Église sans que personne ne se doute du secret sulfureux qui se cachait sous les vêtements du souverain pontife.
Cependant, alors qu’elle participe à une procession de l’Ascension ou de la Fête-Dieu, entre Saint-Jean-de-Latran et l’ancienne basilique Saint-Pierre, la papesse est prise de violente douleur au ventre et doit descendre de son cheval. Elle accouche alors en pleine rue, trahie par une grossesse qu’elle avait dissimulée sous ses amples ornements liturgiques. La foule, stupéfaite et furieuse, la lapide sur place ou, selon d’autres versions, l’attache à la queue de son cheval pour la traîner dans les rues de Rome.
Des rituels insolites aux origines douteuses
Cette histoire aurait entraîné des conséquences directes sur les rituels pontificaux. L’Église aurait alors instauré un cérémonial étonnant : le nouveau pape devait s’asseoir sur une chaise percée afin qu’un ecclésiastique vérifie, à travers l’ouverture, la présence d’attributs masculins. Celui-ci s’exclamait alors : « Duos habet et bene pendentes » (« Il en a deux et elles sont bien pendantes »), tandis que les cardinaux répondaient en chœur : « Deo gratias » (« Nous rendons grâce à Dieu »). Si ce rituel a bien existé, il est davantage considéré, aujourd’hui, comme le symbole d'une virilité spirituelle plutôt qu'un véritable protocole imposé par une réalité historique.
Les incohérences d’un mythe
Le jour viendra d’une Papesse.
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau.bsky.social) 21 avril 2025 à 23:46
Cependant, de nombreuses incohérences historiques viennent discréditer ce récit, au grand dam de certains, comme Sandrine Rousseau, qui rêvent de voir un jour une femme à la tête de l'Église de Rome. En effet, la papesse Jeanne aurait régné, selon les chroniques, entre 855 et 858. Or, ces dates de pontificat coïncident exactement avec celles du pape Benoît, dont l’existence est attestée non par de simples écrits mais par des faits concrets, notamment par ses relations avec les souverains d’Europe et l’Empire byzantin. De même, la Fête-Dieu, durant laquelle Jeanne aurait accouché, n’a été instaurée qu’en 1264 par le pape Urbain IV, soit quatre siècles après les faits supposés.
La première mention connue de la papesse Jeanne dans un livre apparaît vers 1250, chez Jean de Mailly, un dominicain de Metz, dans sa Chronica Universalis. Étienne de Bourbon, un autre dominicain, reprend également l’histoire, peu après, dans l’une de ses œuvres. Néanmoins, c’est le chroniqueur Martin de Pologne, chapelain de plusieurs papes, qui popularise le récit dans sa « Chronique des papes et des empereurs », vers 1277. Son œuvre, largement diffusée, confère à la légende un vernis d’authenticité faisant de cette fiction une arme pour les détracteurs du Saint-Siège, dans une société où la femme ne peut avoir la première place, et surtout pas au cœur de l’Église.
Une légende au service des opposants à l’Église
Ainsi, au XVIe siècle, les réformateurs protestants s’emparent avec enthousiasme de l’histoire. Calvin l’utilise pour discréditer la papauté et Luther affirme avoir vu à Rome un monument dédié à Jeanne, preuve, à ses yeux, de la corruption d’une Église gouvernée par des êtres décadents. Les anglicans exploitent également le mythe pour justifier leur rupture avec Rome. La papesse Jeanne devient ainsi une figure ambivalente : tantôt satire anticléricale, tantôt avatar du désordre ecclésiastique, tantôt prétexte à un combat théologique. Face à ces multiples instrumentalisations, l’Église catholique décida de répondre en publiant de nombreux textes réfutant avec raison la véracité de l’existence de cette fausse papesse.
Selon l’historien Agostino Paravicini Bagliani, la figure de Jeanne est l’expression d’une peur misogyne à l’époque médiévale signifiant que « même une femme aussi exceptionnellement instruite ne pouvait accéder à la dignité de pontife romain ». D’autres chercheurs soulignent également que la légende pourrait aussi découler d’une confusion historique : Jean VIII, pape en 872, surnommé « la papesse » pour sa faiblesse supposée face à Byzance, aurait pu être ainsi à l’origine de la rumeur.
Cependant, ce n’est pas parce qu’un mythe comme celui de la papesse Jeanne a traversé les siècles, et ce, malgré son évidente fausseté historique, qu’il peut servir de fondement pour bouleverser la nature même de la hiérarchie ecclésiale.

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15 commentaires
Bientôt un pape transgenre au train ou va l’Eglise !
Ce qui me choque surtout dans l’histoire, légende ou pas, c’est le sort réservé à cette femme : attachée à la queue de son cheval et traînée dans les rues, jusqu’à ce que mort s’en suivre, alors qu’elle venait d’accoucher. Où est la compassion chrétienne, voire humaine, dans une telle cruauté ? Que les humains soient capables de tels châtiments, réels ou légendaires, interroge sur le respect de la parole du Christ.
Vous oubliez que Dieu est masculin, Jésus est masculin, tous les grands personnages de la Bible sont masculins etc…les femmes ont toujours été conspuées, diabolisées et ignorées depuis …Eve. L’église les a exclues de tout exercice. Pourtant, les Musulmans et les Chrétiens vénèrent Marie…L’église catholique n’aime pas les femmes. Dans beaucoup d’autres religions, le mariage est permis et même encouragé. « Croissez, multipliez-vous »…Jésus avait des disciples mais on ne parle que rarement des femmes qui l’accompagnaient. Misogynie à travers toute l’histoire…
Mais si ! Marthe, Madeleine,…Et toutes les saintes femmes et créatrices de monastères, d’écoles et de congrégations; il me semble que les femmes y sont plus nombreuses que les hommes..
La légende (tardive) de la papesse a été déconstruite en 1992 par un historien médiéviste respecté de tous (pas comme Boucheron !), Alain Boureau, qui a publié cette année-là l’ouvrage définitif sur la question : « La Papesse Jeanne ». Ne pas s’y référer signe une inculture crasse.
On devrait vérifier aussi la virilité de beaucoup de nos dirigeants…
Hi Hi Hi…Merci pour cet humour. Nous avons besoin de rire un peu…
Je me suis toujours interrogée, par quelle ancestrale légende (celle-là doit au moins dater de nos ancêtres chimpanzés !, la virilité (= force ? esprit de décision ? réactivité? ) d’un homme se love dans deux vieilles chauve-souris fripée pendantes et un bout de tuyau à pipi : ça continue à m’estomaquer depuis 75 ans..
@Andy Vaujambon : oui mais, il ne suffit pas d’en avoir deux pour être un homme…
Les arguments pour contester le récit sont tout aussi faux que le récit lui-même. Il n’existe pas d’Eglise romaine avant le 18ème siècle, siècle d’édition de la fausse chronique de Martin de Pologne et des farces de Jean de Mailly et Etienne de Bourbon. On a lu cela chez Jacques Lenfant prétendant citer Jan Hus (une littérature jubilatoire, je conseille) mais Luther en a-t-il seulement parlé ? Quant à Calvin et la ville de Genève, ils sont de la « Réforme » catholique.
Bonjour,
Une explication possible à cette légende absurde : le pape Jean VIII (872-882), qui a par ailleurs exhorté à l’affranchissement des esclaves, était jugé trop complaisant voire trop faible avec Byzance, ce qui aurait conduit à son assassinat. A partir de là, de trop faible, donc manquant de fermeté, à manquant de virilité, puis de manquant de virilité à manquant des attributs physiques de la virilité, puis de manquant de ces attributs à possédant ceux de l’autre sexe, il n’y a à chaque fois qu’un petit pas. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour inventer par dérision cette histoire absurde d’accouchement, prise au premier degré des siècles plus tard.
Je pense qu’elle a dû accoucher …d’une fille!…Encore une oeuvre de Satan…
En quoi la Sandrine est concernée par le pape puisqu’elle passe son temps à essayer de démolir les valeurs spirituelles du christianisme ?
Parce qu’elle ne supporte pas de n’avoir rien à dire, surtout des énormités.
Ah, si je change Sandrine pour Macron et le pape par la présidence et enfin les valeurs spirituelles par les valeurs politiques et le christianisme par la république, essayez vous à l’exercice !