La France et ceux qui l’habitent
Quand j’avais douze ans, en 1972, on nous déclarait au collège que notre pays comptait 53 millions d’habitants. Nous avions gagné 13 millions d’habitants depuis la défaite de 1940, quand la France n’abritait alors, selon Henri Amouroux, que « 40 millions de pétainistes ». De Gaulle s’était enflammé lors de ses vœux télévisés du Nouvel An le 31 décembre 1962 : « La France moderne pourrait compter 100 millions d’habitants. Combien seront donc bienvenus les bébés qui naîtront chez nous en 1963 ! »
C’est vrai que, sur 550.000 kilomètres carrés, c’était jouable, dans un monde moderne. Mais dès la fin de 1974, on nous a dit qu’hélas, la période du baby-boom, commencée en 1942, était révolue, que nous étions passés sous le seuil du simple renouvellement des générations, calculé à 2,1 enfants par femme.
Au début du septennat de Giscard, je me souviens encore d’une émission télévisée où le romancier réactionnaire Michel de Saint-Pierre avait été invité à encourager les femmes à faire trois enfants ; mais un sondage effectué en fin d’émission avait annoncé qu’il n’avait pas convaincu. Plusieurs raisons nous ont été données pour expliquer cette chute de la courbe, et aujourd’hui, je n’en vois aucune qui soit convaincante ; j’attends encore le démographe qui produira une théorie valable sur le sujet. Par exemple, pourquoi seule la France – et, avec elle, l’Espagne – n’a pas fait d’enfants au XIXe siècle quand ses voisins l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie en faisaient ? La Révolution, puis la guerre franco-européenne (1793-1815), pour meurtrières qu’elles aient été, n’expliquent rien du tout, puisque la courbe a commencé de chuter sous Louis XVI. Inversement, pourquoi tous les pays de culture européenne, quels que soient leurs politiques familiales et même leurs régimes politiques, ont participé au dernier baby-boom ? Passons.
En tout état de cause, depuis lors, jamais les autorités ne nous ont révélé que ma génération avait fourni un effort de redressement significatif. Et pourtant, à partir des années Mitterrand, après le regroupement familial des travailleurs immigrés décidé par Giscard en 1977, le nombre des habitants n’a cessé de croître, jusqu’à atteindre 67 millions aujourd’hui. Presque 25 supplémentaires : un chiffre incroyable, quand on pense que le baby-boom lui-même ne nous avait gagné que 13 millions de citoyens sur une période égale de trente ans.
En parallèle, dans ce pays où l’information est encadrée par la loi, et au besoin par la Justice, les chiffres montrent que les départements champions de la natalité sont le Nord, la Seine-Saint-Denis, le Rhône, les Bouches-du-Rhône… Libre au citoyen d’interpréter cette localisation comme sa raison l’y invite, du moment que cela reste in petto.
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