La basilique Sainte-Sophie va-t-elle redevenir une mosquée ?

Erdoğan ne s’arrête jamais. En perte de vitesse dans son pays (chute dans les sondages et revers électoraux aux dernières municipales), le néo-sultan fait feu de tout bois : intervention en Libye, occupation d’une partie de la Syrie, forages illégaux en Méditerranée, agressions contres des pétroliers italiens - la liste est longue.

Mais en Turquie même, la situation est délicate. La crise économique est lourde et le mécontentement croissant. Les pertes d’Istanbul et d’Ankara aux municipales de 2019 en disent long sur une certaine désaffection de la population qui reproche au tout-puissant dirigeant de s’occuper davantage de conquêtes extérieures que du bien-être de son peuple.

Le nouveau maire d’Istanbul, très populaire, pourrait même être une menace lors des prochaine élections générales de 2023.

Alors, pour resserrer les rangs, pourquoi pas un beau symbole qui ravira le peuple turc qui, ne l’oublions pas, est profondément nationaliste et musulman, même dans l’opposition ?

La transformation de l’extraordinaire basilique Sainte-Sophie en mosquée ferait l’unanimité (ou presque) dans ce pays si fier de la conquête de Constantinople en 1453.

Sainte-Sophie fut longtemps considérée comme la plus belle église de la chrétienté. Construite par Justinien au VIe siècle sur les ruines de la basilique édifiée par Constantin au IVe siècle, sa majesté a toujours ébloui les visiteurs. La funeste chute de Constantinople provoqua, bien sûr, sa transformation en mosquée après un pillage en règle et un terrible massacre.

Ce fut son statut jusqu’en 1934, date à laquelle Mustafa Kemal la fit transformer en musée. Le dirigeant nationaliste poursuivait ainsi sa politique de laïcisation du pays. Il avait, auparavant, fait interdire le voile dans les espaces publics. Autre époque !

Erdoğan ne l’a jamais caché : pour lui, cette décision fut « une grosse erreur ». Cette phrase est bien la marque d’un profond changement en Turquie : Mustafa Kemal est considéré comme le père de la nation, et critiquer aussi ouvertement une décision du grand homme aurait été impensable avant l’arrivée d’Erdoğan au pouvoir et sa réislamisation réussie du pays.

Les islamistes les plus durs ne s’arrêtent d’ailleurs pas là et demandent que la magnifique église Saint-Sauveur-in-Chora soit également transformée en mosquée.

Pour l’instant, l’obstacle est double, pour Erdoğan : juridique et touristique. Juridique car, pour annuler le décret de 1934, il faut l’accord du Conseil d’État. Mais compte tenu de l’ambiance générale et du risque qu’il y a à s’opposer au néo-sultan, il est probable que l’instance juridique suprême du pays donne son accord. Touristiquement, c’est un peu plus délicat : 2 à 4 millions de touristes viennent, chaque année, visiter Sainte-Sophie. Si son statut de musée est transformé en mosquée, nul doute qu’il y aura un impact sur la fréquentation et la Turquie a un urgent besoin de devises.

L’idée serait alors de la laisser en musée toute la semaine, sauf le vendredi où elle serait une mosquée.

Ce projet n’a suscité dans le monde chrétien que de molles protestations symboliques, hormis la Grèce, décidément bien courageuse en ce moment.

Erdoğan rêve d’une grande prière collective, le 15 juillet prochain, et il est malheureusement probable qu’elle ait lieu.

Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

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