Florence Aubenas est venue sur mon rond-point !

Florence Aubenas

Sur Twitter, tout un petit monde d'intellectuels parisiens s'extasie sur le reportage que Florence Aubenas a tiré pour Le monde de son immersion d'une semaine sur le rond-point du Leclerc de Marmande. Un lieu phare de la contestation, qu'elle n'a pas choisi au hasard. Il se trouve que c'est mon pays. Mon rond-point aussi, en quelque sorte. Des compliments justifiés dans la mesure où la célèbre journaliste, selon sa méthode éprouvée, y donne largement la parole aux gilets jaunes, sans trop de filtre. Heureux reportage, donc, qui permettrait à la France des élites, des villes mondialisées et du macronisme déchu de comprendre les raisons profondes de la colère. Car le pouvoir a perdu, il a cédé - un peu – mais, au fond, il n'a pas compris. Et il n'est pas sûr que ce reportage « phénoménologique » au plus près des gilets jaunes campés sur mon rond-point les y aide beaucoup. Alors, soulignons-en quelques traits.

L'un des aspects originaux de ce mouvement - qui avait séduit un Alain Finkielkraut, entre autres – était la présence des femmes. Mais ce rond-point de Marmande nous révèle le triste sort de certaines d'entre elles. Une infirmière : "Ça fait dix ans que je vis sans sortir, à parler à ma chienne. Aujourd’hui, les digues lâchent." Société de l'individu roi, mais surtout de l'éclatement des familles, et de la solitude. Face à cela, quelle est la politique du gouvernement ? Marlène Schiappa et la PMA pour toutes...

L'autre originalité de cette révolution des ronds-points, c'est la libération de la parole. De toutes les paroles. Même les plus extrémistes, les plus violentes, les plus folles. Ce qui en fait un Mai 68 d'en bas. Que les retraités du Mai 68 d'en haut regardent d'un mauvais œil embourgeoisé.

"Un grand gars arrive, qui voudrait peindre un slogan sur une pancarte. “Je peux écrire Pendaison Macron ?, il demande. “Vas-y, fais-toi plaisir”, dit Coralie. Personnellement, elle ne voit aucune urgence à pendre Macron. Et alors ? On affiche ce qu’on veut."

Ce n'est pas un hasard si cette explosion en forme de libération, jusqu'à ces slogans si violents, est arrivée sous ce Président qui n'a de cesse d'imposer sa vision, par ses coups de menton, ses ministres donneurs de leçons, ses lois pour contrôler les informations – les "infox", évidemment, ses procès contre tel ou tel. À trop vouloir museler, on s'expose à ce que le chien se braque et morde. Le rond-point est devenu le seul endroit où certaines opinions étaient dicibles et tolérées. Et ce lieu, il a fallu le créer, le conquérir, comme une utopie d'Aristophane.

Et c'est, bien sûr, le troisième aspect qu'il faudrait souligner au feutre rouge : la question de l'immigration et de l'islamisation. Un couple de gauche est obligé de reconnaître que, sur le rond-point, ils ne font plus la morale à ceux qui pensent mal. Fallait-il donc cette sécession des ronds-points pour que la France bien élevée de gauche daigne entendre ces paroles que Florence Aubenas a recueillies :

« Moi non plus, je ne suis pas raciste, sauf pour une tranche d’âge, les 12-25 ans. » « Certains Arabes peuvent être méchants, ça dépend de leur degré de religion. »

Visiblement, ces sentiments épidermiques, bruts, excessifs qui devraient être pris en compte et au sérieux ne le seront pas, puisque Édouard Philippe vient d'annuler la partie "immigration" du grand débat.

Faut-il préciser qu'à Marmande, quelques semaines avant le début du mouvement, le maire centriste avait été obligé de décider un couvre-feu dans une cité ? Faut-il rappeler que ce petit département rural du Lot-et-Garonne, qui accueille une importante communauté maghrébine, a été le théâtre d'une tentative d'assassinat à Laroque-Timbaut juste après l'élection d'Emmanuel Macron en juin 2017, des faits qui avaient été minorés, selon le maire de cette commune rurale ? Qu'il y a eu des arrestations de radicalisés ?

Le reportage a été réalisé juste avant l'apparition, sur les écrans, de Chérif Chekatt. J'ai une petite idée de la prochaine immersion de Florence Aubenas... Neudorf ? Y sera-t-elle aussi bien accueillie que sur mon rond-point de Marmande ? Pas sûr, aussi, que ce qu'elle pourrait faire remonter, toutes ces paroles interdites, parviennent à se frayer un chemin jusqu'à l'Élysée.

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