[Exposition] Van Gogh à Auvers-sur-Oise : le compte à rebours

00. Affiche Van Gogh 200x150

L’exposition consacrée à Van Gogh par le musée d’Orsay (jusqu’au 4 février 2024) raconte un compte à rebours : les dernières semaines du peintre avant sa mort, de mai à juillet 1890. Nous ne savons pas quand arrivèrent les pensées suicidaires ni quand il prit la décision d’en finir. En tout cas, il peignit avec ardeur : 74 tableaux en 70 jours. Le public les connaît moins que les célèbres toiles provençales. Ici, pas d’iris noirs à force d’être violets, pas d’aveuglants champs de blé mûr, pas d’héliotropes devenus eux-mêmes soleils. Île-de-France oblige, chaumières, champs, ciels se cantonnent à des gammes de verts, de bleus, de gris, où les terres jouent le rôle de complémentaires assourdies. Des harmonies moins éclatantes mais pas moins subtiles.

Il n’y a, de célèbres, que la fameuse Église, dont la représentation tranche sur l’ensemble et semble une réminiscence du Sud, le Portrait du docteur Gachet, image de la mélancolie, et le Champ de blé aux corbeaux, qui passa longtemps pour être son tout dernier tableau – l’expressionnisme survolté et l’accablement qui en émane expliquent qu’il joue son rôle d’image agonique.

Vincent Van Gogh (1853-1890). Chaumes de Cordeville à Auvers-sur-Oise. Fin mai – début juin 1890. Huile sur toile. 73 x 92 cm. Paris, musée d'Orsay. Don Paul Gachet fils, 1954 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Une vitalité picturale intacte

Avec ses maisons où ondulent les toits de chaume, ses maisons bourgeoises couvertes ici d’ardoises, là de tuiles, Auvers-sur-Oise a séduit le peintre. Il a relevé le défi du disparate architectural : comment lui conférer une unité ? Murets, jardins, échapppées… compliquent la donne. Il se passionne pour un nouveau format, oblong (le double carré) : nouvelles manières de jouer avec l’horizon entre ciel et champs. Car Auvers-sur-Oise, ce sont aussi des champs, d’abord habités de moissonneurs, de jardiniers, ensuite déserts, animés de coquelicots ou de bleuets.

Vincent Van Gogh (1853-1890). Ferme. Mai-Juin 1890. Huile sur toile. 38.9 cm x 46.4 cm. Amsterdam, Van Gogh Museum. Photo : © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

Van Gogh dessine son motif d’un hardi coup de pinceau au bleu de Prusse, suggère les formes par la touche épaisse et variée qu’on lui connaît. Certains morceaux semblent peints à la hâte (le sentait-il, le compte à rebours ?), tandis que d’autres sont à peine ébauchés comme s’il se disait : j’y reviendrai plus tard. Ou comme si, vu la maîtrise qu’il avait acquise à Arles, le tableau était parfait dans sa tête et qu’il se soit dit : à quoi bon achever ?

Là perce la lassitude morale que ne laisse pas deviner sa vitalité artistique mais qu’on perçoit dans ses lettres. Dans les derniers mois, Van Gogh est épuisé psychiquement. Il n’a pas de crise de folie (il serait incapable de travailler) mais il sait qu’il en viendra une. Son frère s’est marié, a un fils : est-il envisageable que lui, Vincent, continue de peser sur les finances du jeune père de famille empêtré dans les difficultés de boulot ?

Premières spéculations : le cas de Millet

Retour de Provence, Van Gogh a revu l’ensemble de son œuvre chez son frère à Paris. Quel sens donner à l’accumulation de tableaux ? La valeur artistique est une chose, la valeur marchande en est une autre. Or, le marché de l’art commence à spéculer sur les artistes morts et à accorder à leurs œuvres un prix que, vivants, ils n’avaient pu obtenir. L’Angelus de Millet – l’un des peintres chéris par Van Gogh – fait l’actualité à ce sujet. Vendu par Millet dans les 2.000 francs trente ans auparavant, l’œuvre a atteint 553.000 francs en 1889. En trois décennies, une douzaine de propriétaires, un prix multiplié par 276 ! Cependant, Millet est mort dans la pauvreté en 1875 et sa veuve élève neuf enfants sans voir un centime de ces plus-values. Le monde des affaires jubile, les peintres sont mécontents.

Vincent Van Gogh (1853-1890). Champ de coquelicots. Samedi 14 juin 1890. Huile sur toile. 73 × 91,5 cm. La Haye, Kunstmuseum Den Haag. Photo © Kunstmuseum Den Haag – long-term loan Cultural Heritage Agency of the Netherlands

« Je trouve seulement que tout le bruit qu’ont fait les grands prix payés dans les derniers temps pour des Millet, etc., ont encore empiré l’état de choses, quant à la chance qu’on a rien que de rentrer dans ses frais de peinture », écrit Van Gogh à Theo (4 juin 1890). Il a peut-être pensé que, s’il mourait, sa peinture prendrait de la valeur et que Theo deviendrait riche (l’idée est avancée par Ingo F. Walther et Rainer Metzger, Van Gogh, Taschen, 1990). Sur fond de désespoir, l’idée semblait séduisante. C’est une explication fiable du suicide de Van Gogh - loin de l’hypothèse hasardeuse d’un coup de feu tiré par des gamins. Et c’était bien vu, sauf que Van Gogh était, là encore, en avance. Theo mourra rapidement après lui et c’est au combat obstiné de Johanna, sa veuve, que Van Gogh doit sa reconnaissance — et des prix qui l’auraient offusqué.

La présentation que fait le musée d’Orsay de la période auversoise est à la hauteur : tableaux espacés, cartels concis, sections claires. Sobre, mettant les œuvres en valeur. « Je croirais presque que ces toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles », écrivit Van Gogh à son frère et à sa belle-sœur (10 juillet 1890). Le « presque » était de trop. Les toiles parlent d’elles-mêmes.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Dans les années 1950, j’ai visité Auvers avec ma grand-mère qui habitait dans une commune voisine. Nous avons eu la chance de rencontrer le Dr. Paul Gachet junior et le curé de la paroisse. Celui-ci n’était content des peintures que van Gogh avait fates de son église.

  2. Cette exposition honore l’un des plus beaux musées de notre pays. Un cadre idéal pour présenter une époque de l’œuvre de Van Gogh, artiste incompris de son vivant mais universellement reconnu de nos jours.

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