[Expo] Préhistomania: la transmission d’œuvres multimillénaires

expo-paris-prehistomania-musee-de-l-homme.jpg

Avant Lascaux IV, reproduction intégrale de la grotte en fac-similé 3D, le chemin a été long et compliqué pour faire connaître l’art préhistorique. La photographie avait ses limites, certains détails, visibles ou à peine devinables à l’oeil nu, n’apparaissant pas sur les clichés. Seul le relevé sur place, dessiné et peint, était possible. C’est à cette technique que s’intéresse le musée de l’Homme, avec quatre personnalités qui s’y sont illustrées : l’abbé Breuil (le « pape de la préhistoire »), Leo Frobenius (un africaniste allemand), Henri Lhote (spécialiste du Tassili, au Sahara) et Gérard Bailloud (spécialiste de l’Ennedi, au Tchad). On leur doit la connaissance d'un patrimoine multimillénaire sans équivalent.

Bison couché. Relevé de Katharina Marr, Altamira, Espagne, 1936. - 70x100cm © Institut Frobenius, Francfort-sur-le-Main

Le progrès mis à mal

Rappelons le contexte dans lequel ont été révélées les premières peintures pariétales. Le XIXe siècle baignait dans le positivisme et l’idée de progrès. Le bourgeois voltairien et matérialiste était le stade le plus avancé de l’Homme. En 1879, la mise au jour des peintures de la grotte d’Altamira vint troubler ces certitudes. 14.000 ans avant Jésus-Christ, l’homme avait donc une vie intérieure et intellectuelle qu’il exprimait dans des œuvres ! Il était capable d’abstraire trois dimensions en deux. Il avait une esthétique. Plus « évolué » qu’on ne le pensait, il n’était donc pas si bestial - plutôt humain.

Cela était si inconcevable que le préhistorien français Emile Cartailhac rejeta l’authenticité d’Altamira. Vingt ans plus tard, il reconnaîtra son erreur, confessant que cet art « était absolument nouveau, étrange au plus haut point » (Mea culpa d'un sceptique, 1902). Si étrange que Cartailhac, un brin complotiste, comme on dirait aujourd'hui, crut y voir un piège des cléricaux espagnols destiné à ridiculiser les scientifiques… donc la Science.

170.000 sites dans le monde

Si Altamira, Lascaux, Chauvet sont des noms qui parlent au public, l’art pariétal (celui des grottes) et l’art rupestre (sur rochers à l’air libre), ce sont aujourd’hui 170.000 sites étudiés dans 160 pays, de l’Europe à la Papouasie en passant par l’Afrique. Les relevés sont l’œuvre de scientifiques et d’artistes qui ont travaillé dans des conditions difficiles - grottes humides et obscures ou désert africain - et avec humilité, consacrant leur talent à transmettre l'art de nos ancêtres, cet héritage qu'on n'attendait pas.

Elisabeth Pauli au travail dans la grotte d’Altarima, Espagne, 1936. © Institut Frobenius, Francfort-sur-le-Main

Lorsque l’abbé Breuil authentifia Lascaux en 1940, il avait derrière lui des décennies d’études et de pratiques du relevé dans des sites français mais aussi en Espagne, en Chine et en Afrique du Sud. Breuil réalise des calques in situ, puis retravaille le motif en plus petit. Leo Frobenius parcourt l’Afrique (Afrique australe, Afrique du Sud, Zimbabwe, Lesotho…) avec ses équipes d’artistes (Elisabeth Pauli, Maria Weyersberg, Katharina Marr, Elisabeth Mannsfeld, Agnes Schulz…). Leurs relevés sont magnifiques et des plus artistiques.

Une révélation pour les artistes

Deux grandes pièces sont exposées. D’Henri Lhote, Grand dieu aux orantes, immense relevé sur papier, de 7,5 m sur 3,5 m, d’une peinture de Séfar (un site troglodyte saharien): une composition d’humains et d’animaux autour d’un grand être cornu. De Joachim Lutz, Grands éléphants, autres animaux et hommes peints sur plusieurs couches, de 1,80 m sur 7 m à peu près (lors d’une expédition Frobenius en 1929 au Zimbabwe). L’effet de cette « composition » où des artistes successifs ont superposés leurs motifs est saisissant.

Grands éléphants, animaux et hommes peints. Relevé de J. Lutz, Zimbabwe, 1929 - 283x695 cm. © Institut Frobenius, Francfort-sur-le Main

Les relevés sortirent du champ des études préhistoriques lorsqu’ils furent exposés à partir des années 1930 dans diverses villes européennes. Le public fut conquis ; et les artistes, donc ! Henri Charlier trouva dans l’art préhistorique de quoi nourrir sa théorie des « grandes constantes de l’art ». Un choix limité nous montre Klee, Arp, Pollock. Il pourrait être élargi à bien d'autres, par exemple Bernard Bouts chez qui les allusions à l’art pariétal et rupestre ne manquent pas.

Dans son texte, Émile Carthailac dit que « ces formes étranges » d’Altamira continuent de l’étonner vingt ans après. À vrai dire, les peintures préhistoriques nous étonneront toujours. Leur fraîcheur et leur expression spirituelle restent bien supérieures à la peinture académique que le bourgeois du XIXe siècle appréciait et à l’art contemporain que nos bobos admirent. Elles suggèrent que le temps ne fait rien à l’affaire : aussi loin qu’on remonte, l’homme est peintre, l’homme est Homme.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Il existe toujours sur les parois naturelles des formes et figures à exploiter. Nos ancêtres le firent, forçant le trait de la pierre pour lui faire exprimer des formes animales, mythes de leurs chasses. En revanche on n’y voit que de très rares végétaux que pourtant la roche pouvait tout aussi bien pré-illustrer. Est-ce à dire que ces « artistes »étaient très peu végétariens ?

  2. Les fresques ne sont pas les seules choses étonnantes à trouver dans ces grottes. Je me rappelle d’un documentaire de Werner Herzog sur la grotte Chauvet (Cave of Forgotten Dreams) où un archéologue joue l’hymne national américain, me semble-t-il, sur une flûte de 30000 ans déterrée sur le site. Le mythe du sauvage en prend un sacré coup !

  3. L’art préhistorique est d’une grande fraîcheur, plus admirable que bien des « œuvres » contemporaines en particulier celles se prétendant de l’art moderne..

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Revivez le Grand oral des candidats de droite

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois